La parole des enfants : enjeux
Nous avons rencontré des enfants ayant participé au conseil des enfants de l’école Océane et des enfants membres du Conseil municipal des Jeunes (CMJ) de Labenne, ces dernièr.e.s étant scolarisé.e.s soit au sein des deux écoles élémentaires de la commune, soit au collège.
Ces recueils de parole ont vocation à partager le ressenti de certains enfants sur cette expérience de participation en présentant aussi bien ce qu’ils/elles en attendent, ce qui les motivent mais aussi la manière dont ils/elles se positionnent et appréhendent cet espace de participation.
Les enfants interviewés parmi les élus au conseil d’enfants (CE) de l’école Océane sont : Lili (10 ans), Enzo (10 ans), Antoine (10 ans), Salomé (10 ans), Tiane (10 ans), Manon (10 ans).
Les enfants élus au conseil municipal des jeunes (CMJ) sont Adrien (10 ans), Matis (10 ans), Julia (10 ans), Lilia (11 ans), Lou (11 ans), Evan (12 ans), Mathieu (13 ans).
1. Un lieu d’apprentissage de la citoyenneté
Pourquoi ces enfants se sont-ils présenté.e.s pour être élu.e.s de ces conseils ? C’est la première question que nous avons jugée nécessaire de leur poser. Dans leurs paroles, les enfants reprennent à leur compte la présentation faite par les adultes, c'est-à-dire qu'ils/elles sont élu.e.s avec l'objectif de mettre leurs connaissances au service de la commune. En même temps, ils/elles insistent d’emblée sur le fait que leur démarche s’inscrit dans une volonté propre d’améliorer leur quotidien.
« On s'est réunis à l'école pour nous parler un peu de ce qu’il fallait faire et ça m'a donné envie parce que… j'aime bien aider les gens. Moi je suis un peu dans l'environnement alors j’aime bien aider la nature un peu. » Adrien, CMJ.
« Pour améliorer les jeux, parce que je trouvais qu'il n'y en avait pas beaucoup. » Antoine, CE.
« Moi je voulais un peu améliorer ma rue parce qu'il y avait un endroit qui était vide. » Julia, CMJ.
« Je voulais essayer de défendre mes camarades et d’améliorer la vie à l’école. » Salomé, CE.
« Mon rôle, c’est de défendre ma classe et d’essayer d’améliorer la vie de l’école. » Tiane, CE.
Cette démarche de participation aux conseils est présentée, dans les projets éducatifs, comme une démarche d’apprentissage de la citoyenneté. Si ce terme ne revient pas dans la bouche des enfants interviewés, en revanche ils insistent sur l’importance qu’ont revêtu pour eux la campagne et l’apprentissage des règles de l’élection (faire campagne, trouver des slogans, mettre un bulletin de vote, accepter la défaite / la victoire).
« Il y avait des projets. On avait voté pour une pyramide de cordes. Il y avait un délégué pour chaque classe et des délégués du périscolaire. C’est un peu comme des responsables de l’école, pour pouvoir mettre en oeuvre ce qu’aimeraient les enfants de l'école. » Antoine, CE.
« On s'est présentés en classe ; après on a fait des voix pour élire qui voulait être conseiller. On était nombreux à se présenter, 13 je crois. Du coup, à la fin, on restait 3. Du coup on était trois au CMJ pour améliorer la ville. » Matis, CE.
Cet apprentissage de la citoyenneté se traduit par un apprentissage de la prise de parole en public. Les enfants racontent leur « timidité » face aux adultes lors des premières réunions. Si la plupart des enfants indique que ces prises de parole sont facilitées par la suite, d’autres pointent du doigt les logiques de captation de la parole par les un.e.s et les autres. Si nous n’avons pas pu observer directement ces séances, cette question de la prise de parole rejoint les questionnements sur l’apprentissage du métier d’élu (1) et en particulier sur les logiques de genre et d’âge qui s’y jouent.
« Des fois on n’a pas le temps de parler parce qu'on interroge presque toujours les mêmes.» Lilia, CMJ.
« Il y en a qui se plaignent mais en même ils ne lèvent pas la main ! J’ai l’impression qu'ils stressent… après on attend, alors nous on lève la main et on est interrogés.» Evan , CMJ.
« Parfois je ne comprends pas tout. Moi j'étais stressée au début… » Julia, CMJ.
« La première fois on était vraiment timides, il y avait beaucoup de monde. Mais au bout du premier conseil, ça allait. Ça fait bizarre d'être appelé dans un grand conseil comme ça quand on est enfant. » Enzo, CE.
« On était tous un peu stressés, c’est la première fois qu’on allait faire ça et on était impressionnés par ce qu'on allait faire. Maintenant ça va.» Lili, CE.
« Au début ça me faisait bizarre d'être délégué de classe, c'était nouveau. Je ne savais pas trop comment faire mais après je me suis débrouillé assez bien.» Antoine, CE.
Ce savoir-faire de prise de parole se couple avec une observation accrue d’autres espaces politiques qu’ils identifient. Certes, les membres de ces deux instances insistent sur le fait qu’ils/elles sont « trop petit.e.s » pour évoquer la politique, que cela est une question pour les adultes, qu’ils/elles ont « le temps pour s’en préoccuper » (2). Néanmoins, les enfants mobilisent aussi les règles du jeu électoral et ce qu’ils/elles ont pu observer pour faire le parallèle avec leur propre rôle. Ainsi, quelques enfants soulignent qu’ils ont mobilisé de mêmes recettes pour présenter à leurs camarades leur rôle. Ainsi, pour certain.e.s, le conseil est un moment pour s’approprier des moyens de communication et les postures qu’ils/elles ont observés pendant la campagne présidentielle de 2017, principalement à la télévision. Ces enfants montrent aussi comment leur satisfaction politique s’articule avec la satisfaction rencontrée dans leur sphère amicale.
« Ça m'a beaucoup intéressée. Je regardais quand il y avait des débats, ça m'a donné des idées dans la façon de dire presque les mêmes phrases que le président.» Lili, CE.
« Moi tous les soirs j’étais basé sur les informations avec mes parents. Etre délégué c’est un peu comme être président. Moi j'avais ma petite idée sur qui j'aimerais comme président. Quand le président a été élu je me suis dit : « Tiens je vais faire un peu comme lui.» Enzo, CE.
2. Se familiariser avec l’action collective
Ces conseils d’enfants et le CMJ sont des espaces au sein desquels les enfants expriment leur satisfaction à voir des projets émerger, se concrétiser et dans le même temps apprennent à renoncer. Ils mettent en avant à plusieurs reprises ce qu’ils ont pu faire adopter collectivement ; c’est le cas d’un pumptrack pour le CMJ ou de l’achat de nouveaux jeux, la réalisation d’un espace bibliothèque pour l’école Océane. Ces réalisations sont des fiertés sur lesquelles les enfants reviennent en détail.
« Même s'il n'y en a pas beaucoup qui savent que c'est le CMJ qui a proposé le pumptrack, c'est un peu une fierté quand même ! » Evan, CMJ.
« Moi j'avais comme responsabilité de faire une bibliothèque. J’ai fait une affiche pour demander qu’on donne des livres.» Enzo, CE.
« On n’est pas déçus mais ça prend du temps. Les filets ne sont pas encore arrivés mais ça doit arriver. On a encore perdu des ballons.» Antoine, CE.
Le renoncement est présenté avec des arguments de raison, et force est de constater que les enfants s’approprient sans difficulté les enjeux financiers auxquels les adultes les ont confrontés. C’est ainsi que des projets qui n’ont pas vu le jour nous sont présentés comme irréalistes car trop coûteux. Les enfants s’approprient cette impérieuse gestion financière que doit avoir en tête la municipalité. Devenir un bon gestionnaire apparaît être une qualité mise en avant par les enfants.
« Il fallait avoir l’accord de la mairie parce que par exemple le nouveau stade ça a coûté très très très cher à la commune. Mme Chessoux nous a prêté un peu d'argent pour faire la plupart des projets. On avait aussi comme projet d'agrandir la cour mais pour l'instant, ça n’a pas été accepté. Peut-être que ça se fera quand on sera au collège.» Enzo, CE.
Les enfants acceptent aussi, avec peu de ressentiment, la lenteur des processus de décision administrative. Alors que plusieurs projets ont été votés au sein de l’école Océane, les réalisations attendent toujours. Pour les délégué.e.s, ce temps est nécessaire et dévoile la manière dont les enfants font face aux différentes temporalités.
Cette participation ne se fait pas sans heurt. Pour les membres des conseils d’enfants et du CMJ, leur emploi du temps (et celui de leurs parents) ne s’accorde pas toujours avec celui de ces instances participatives. Cette question est d’autant plus prégnante pour le CMJ que les séances sont organisées le samedi matin, et non sur le temps périscolaire, comme pour le conseil d’enfants de l’école. La défection de certains membres du CMJ est analysée avec une certaine désapprobation par les membres. Leur mandat de représentant est valorisé a contrario de ces défections.
« Au début de l'année on était à la mairie avec le maire, il y avait beaucoup d’élus. On était beaucoup beaucoup d’enfants, on était dans les vingt. Des fois on n'est plus que 5 à la réunion.» Matis, CMJ.
« Des fois, les horaires ce n’était pas facile. Le mardi soir c’était directement après le collège.» Evan, CMJ.
3. Le rôle de représentant : valorisation familiale et valorisation de la norme
La question du regard porté par les adultes de leur entourage sur leur participation à ces conseils d’enfants ou au CMJ dévoile à quel point cette participation fait l’objet d’échanges en dehors du temps qui est dédié spécifiquement. La plupart des enfants insistent sur la notion de « fierté » pour leurs parents, sur le fait qu’ils ont été félicités de cet engagement. Dans le même temps, quelques enfants rappellent le poids que fait peser sur leurs épaules cette responsabilité. Ces dernière.e.s insistent sur le fait que la fierté éprouvée par leurs parents nécessite donc un véritable engagement de leur part. Cet engagement fait parfois suite à celui de frères et sœurs plus âgés et s’inscrit dès lors dans des formes d’apprentissage au sein de la structure familiale.
« Moi j’en avais parlé à mes parents pour m’inscrire à ce concours. Dès que j'ai été élue ils étaient hyper contents.» Lou, CMJ.
« Mes parents, ils étaient fiers de moi parce que ma grand-mère elle avait déjà un grand rôle. Elle était députée des Landes.» Adrien, CE.
« Mes parents ont été surpris : "Délégué de quoi ?" Ils m'ont dit : "tu sais, c’est une grosse responsabilité, essaie de bien la faire". Ils m'ont dit de faire un peu ce que je voulais comme projet. » Enzo, CE.
« Moi, ils n'étaient pas surpris parce que mon grand-frère, quand il était petit, il était à chaque fois délégué. Il m'a aidée à faire les projets. Après le conseil de classe, mes parents m’ont félicitée et ils m’ont dit que ça serait bien que je me représente.» Lili, CE.
Enfin, ce rôle de représentant conduit les enfants à appréhender la posture de l’ « entrepreneur de morale » (3) ou en d’autres termes à adopter une posture de définition des normes à respecter et surtout à véhiculer ces normes. C’est ainsi que les représentants du CMJ insistent, lors de l’échange à tour de rôle, sur l’importance de mettre un casque lorsqu’ils sont au pumptrack. Ils dénoncent collectivement l’attitude d’automobilistes qui ne seraient pas vigilants face aux cyclistes et aux piétons sur la commune.
Ils vont encore plus loin en insistant sur le fait que porter le casque, même si celui-ci n’est devenu obligatoire que jusqu’à l’âge de douze ans doit être poursuivi au-delà. Certains d’entre eux soulignent même comment ils ont insisté auprès de leurs camarades pour expliciter la norme. Finalement, à ce titre, ils se positionnent contre toute forme de déviance à la norme et se font de véritables relais de la norme collective. Ils devancent même cette norme à travers certains projets en valorisant, par exemple, la préservation de la forêt des Landes, en positionnant la norme environnementale avant celle du loisir (en l’occurrence des motos).
« On a vu que les motos dans la forêt ce n'est pas très très bien pour l’environnement ; déjà ça pollue, ça peut mettre le feu et ça fait peur aux animaux.» Adrien, CE.
« Avec Mathieu, l'année dernière on avait pensé à agrandir le skatepark. Finalement ça s'est transformé en pumptrack. Il y a souvent les pompiers qui arrivent parce qu’il y en a qui mettent pas de casque et qui tombent, après c’est les urgences.» Evan, CE.
En conclusion, la parole des enfants recueillie montre à quel point ils appréhendent de façon structurée leur participation à ces instances et se trouvent confrontés à des problématiques comparables à celles des adultes dans des lieux similaires (apprentissage du rôle, prise de parole, place de la norme, etc.). Cette expérience dévoile aussi à quel point les enfants sont aussi affectés par des contraintes extérieures (emploi du temps notamment) qui pèsent sur leurs capacités à s’investir. Autant d’éléments qui peuvent alimenter la réflexion des décideurs publics et des enseignants qui s’engagent dans ces démarches participatives.
Anouk Flamant, Observatoire PoLoc (septembre 2017)
Notes
Note (1). Frédérique Matonti, Delphine Dulong. Comment devenir un(e) professionnel(le) e la politique ? in Sociétés et représentations, vol.2, n°24, 2007, p.251-267.
Note (2). Wilfried Lignier, Pagis, Julie. Quand les enfants parlent l'ordre social. Enquête sur les classements et jugements enfantins. Paris : Seuil, 2017.
Note (3). Becker, Howard. Outsiders, étude de sociologie de la déviance. Paris : Métaillé, 1998.
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