Le système scolaire allemand : données et contexte historique
Une structure fédérale
La souveraineté des Länder (= les régions allemandes) en matière culturelle comprend l’éducation. Ainsi, les ministres de l’éducation et de la culture des 16 Länder décident des structures des établissements scolaires ainsi que des programmes en vigueur dans leur Land. Ainsi, l’Abitur (l’équivalent du baccalauréat) n’est pas exactement le même dans toutes les régions. La gestion du personnel non enseignant ainsi que la construction et l’entretien des établissements scolaires incombent le plus souvent aux communes. La constitution allemande garantit le droit de fonder des établissements d’enseignement privés. L’Etat doit veiller au respect des normes sanitaires et s’assurer des compétences de l’organisme subventionnant l’école, de la direction de l’établissement et des enseignants.
La Conférence permanente des ministres de l’éducation et de la culture (+ Kultusministerkonferenz - KMK) a été fondée en 1948 dans le but d’harmoniser et de coordonner les différents systèmes éducatifs régionaux afin de permettre une meilleure mobilité personnelle et professionnelle entre les Länder. Elle est un lieu d’échange et de concertation où les ministres débattent des questions éducatives communes à toutes les régions, donnent des impulsions en matière de politique éducative et font entendre leurs besoins au niveau fédéral. Les directives de la KMK sont mises en pratique de manière différente dans chacun des Länder. Chaque ministre s’engage à veiller à leur mise en œuvre à travers des circulaires, des décrets ou des lois dont l’élaboration et le vote dépendent du parlement du Land. L’Allemagne reste ainsi marquée par un système éducatif diversifié comportant une certaine concurrence entre les Länder.
Les répercussions du « choc PISA »
Depuis 2000, l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) mène des enquêtes PISA (Programme for International Student Assessement = Programme international pour le suivi des acquis des élèves) dans ses 30 pays membres et dans plusieurs pays partenaires. Les résultats de ces enquêtes permettent de comparer les compétences des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences et d’analyser les liens entre les scores obtenus et différents indicateurs socio-économiques. La publication des résultats de la première enquête en Allemagne y a déclenché ce qu’on a rapidement appelé le « choc PISA » : les résultats des élèves étaient en effet moins bons qu’attendu, se situant pour la plupart en-dessous de la moyenne des pays développés. L’analyse des données de l’enquête permet d’aller au-delà d’un simple palmarès et révèle certaines faiblesses du système scolaire allemand.
Les disparités régionales
Les enquêtes PISA ont tout d’abord montré qu’il existe de grandes disparités de niveau entre les Länder. La KMK a rapidement réagi à ce résultat, non pas en uniformisant l’organisation du système scolaire (ce qui n’entre pas dans ses compétences), mais en mettant en œuvre une réflexion sur l’harmonisation des programmes scolaires. Celle-ci ne passe pas par des règlementations détaillées, mais par la proposition de standards servant de repère à chaque Land. En octobre 2012, la KMK a ainsi formulé les connaissances et compétences devant être évaluées par l’Abitur de chaque Land en allemand, en mathématiques et en langue vivante. Cette définition des acquis attendus est complétée par des exemples d’épreuves standardisées mises à disposition des Länder sans que leur utilisation soit obligatoire.
Les filières
Une autre spécificité du système allemand fait débat depuis les enquêtes PISA : l’organisation de l’enseignement secondaire en trois filières. La scolarité obligatoire commence le plus souvent l’année suivant le sixième anniversaire de l’enfant et s’étend de neuf à dix ans selon les Länder. Au bout de quatre années passées à l’école élémentaire (six dans les Länder de Berlin et du Brandebourg), les élèves s’orientent généralement dans une des trois filières de l’enseignement secondaire : l’enseignement professionnalisant (= Hauptschulen), général et professionnel (= Realschulen), qui tous deux mènent le plus souvent à l’inscription dans une formation professionnelle, ou l’enseignement général (= Gymnasium) préparant à l’Abitur. Le choix de la filière revient, selon les Länder, aux parents ou à l’école élémentaire. De nombreuses passerelles existent entre les différentes filières, et les élèves en font fréquemment usage.
Le soupçon que ces filières opèrent une ségrégation sociale a été confirmé par les enquêtes PISA. Dans son analyse des résultats de l’enquête de 2003 en mathématiques, Georges Felouzis constate que l’organisation en filières entraîne plusieurs types de ségrégation :
"Si l’on considère l’Allemagne (DEU), on observe que les indicateurs sont tous très élevés : les inégalités sociales sont fortes (27,4 % de la variance des scores est expliquée par l’origine sociale des élèves), la ségrégation sociale dans les filières et les établissements est elle aussi bien supérieure à la moyenne, ainsi que la ségrégation académique. On a donc un système éducatif inégalitaire qui regroupe les élèves dans des filières et des établissements en fonction de leur origine sociale et leur niveau académique" (1).
L’organisation en filières peut également nuire au niveau de compétences des élèves. En effet, les enquêtes PISA ont révélé que les élèves qui fréquentent des établissements dans lesquels ils ne sont pas regroupés par niveaux (ou seulement dans certaines matières) ont de meilleurs résultats que les élèves des établissements où le regroupement par niveaux est généralisé (2). Ces résultats n’ont pas mené à une remise en cause radicale des filières, mais ont contribué à une transformation du système scolaire influencée par des considérations plus générales.
Dans de nombreux Länder, plusieurs filières sont à présent enseignées dans un même établissement. Les noms de ces écoles et leur organisation varient. Le plus souvent, ce sont Hauptschule et Realschule qui s’associent dans un même établissement, alors que d’autres établissements regroupent les trois filières, ce qui diminue la ségrégation par les établissements et facilite le développement des passerelles entre filières. Parfois, Hauptschule et Realschule ou même les trois filières fusionnent. Les élèves choisissent alors des cours de niveau différent en fonction de leur aisance dans chaque matière. Ce système met fin au regroupement général des élèves par niveaux et pourrait donc être bénéfique pour leur niveau de compétences. Mais ces changements sont également motivés par des contraintes indépendantes des résultats des enquêtes PISA. Ils impliquent surtout une baisse du nombre d’établissements, qui est un des buts recherchés. En effet, dans le cadre de l’évolution démographique qui comporte un faible taux de natalité, une diminution de 22 % du nombre d’élèves est attendue d’ici 2025 (3). De plus, au vu de la marge financière étroite des institutions publiques, une diminution du nombre d’établissements entraîne une baisse des coûts d’entretien et une concentration des investissements. Enfin, ces évolutions prennent en compte la tendance des parents à privilégier les diplômes généraux et à éviter l’orientation de leur enfant dans les Hauptschulen qui accueillent donc une part de plus en plus faible de l’ensemble des élèves.
A ces nouvelles structures scolaires s'ajoute une réorganisation des rythmes scolaires dans le cadre du développement des écoles ouvertes toute la journée (Ganztagsschulen). Traditionnellement, une heure de cours dure 45 minutes, et la journée scolaire s’étend sur six heures de cours le matin, parfois jusqu’à 13h30.
(1) Felouzis, Georges. Systèmes éducatifs et inégalités scolaires : une perspective internationale In SociologieS. Théories et recherches. mis en ligne le 05 novembre 2009, paragraphe 14. URL : http://sociologies.revues.org/2977. [Consulté le 19 novembre 2015].
(2) Baudelot, Christian. Establet, Roger. L'élitisme républicain : l'école française à l'épreuve des comparaisons internationales. La République des idées. Paris : Seuil, 2009. p. 56-57.
(3) Bildung in Deutschland 2014. Ein indikatorengestützter Bericht mit einer Analyse zur Bildung von Menschen mit Behinderungen. » Autorengruppe Bildungsberichterstattung (Ed.). W. Bertelsmann Verlag, Bielefeld 2014, p. 68.