6èmes Rencontres nationales des projets éducatifs locaux 2015
Les rencontres nationales des PEL sont organisées par la ville de Brest et les Francas, en partenariat avec le Réseau Français des Villes éducatrices (RFVE) et l’Association Nationale des Directeurs de l’éducation des Villes (ANDEV).
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Les 6èmes rencontres nationales des PEL ont eu lieu à Brest les 4-5-6 novembre 2015. Elles ont rassemblé quelques 450 participants. Les Projets d'Education Locaux ont été interrogés en tant qu'« outils d'une dynamique au service d'une ambition citoyenne et démocratique pour l'éducation sur les territoires ». Après la mise en place de la réforme des rythmes puis l'ancrage des Pedt dans la loi, l'heure a été davantage cette année aux bilans dans la phase de mise en œuvre.
Après l'ouverture des rencontres par le maire de Brest, François Cuillandre, et Maurice Corond, membre du conseil fédéral des Francas, la Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem a déclaré dans un message enregistré qu'une étape importante était en train de se réaliser : la généralisation des Pedt, qu'elle a définis comme des « projets participatifs au service de la qualité et de la continuité éducative ». Une première table-ronde a réuni Françoise Pétreault du MEN, Damien Berthilier du Réseau Français des Villes Educatrices et Didier Jacquemain, délégué général des Francas. Un premier constat chiffré : environ 87% des communes sont aujourd’hui dotées d'un Pedt, concernant alors près de 92% des enfants scolarisés. Au-delà de ces chiffres satisfaisants d'un point de vue « comptable », où en est-on ?
Les quatre axes proposés pour les différents ateliers de l'après-midi ont conduit à interroger les dynamiques enclenchées sur les différents territoires : l'avancée des Pedt - la question de la gouvernance - la conception de parcours éducatifs de qualité - la formation des acteurs éducatifs.
Différents acteurs des PEL étaient présents dans les ateliers : collectivités locales, représentants de l'éducation populaire, acteurs de l'éducation nationale, animateurs, etc.
Dans l’atelier intitulé « Education, action éducative, complémentarité éducative », Anna Angeli, adjointe à l'éducation de la ville du Pré-Saint-Gervais (commune de 18000 habitants dans la petite couronne parisienne avec 47% de logements sociaux) a apporté son témoignage. La commune a mis en œuvre son PEDT en 2013, après la constitution d’une phase de concertation structurée autour d’un comité de pilotage, avec la mise en place d’ateliers de travail mensuels (regroupant les services de la Ville -petite enfance, éducation, jeunesse, programme de réussite éducative, politique de la ville, sports, culture, vie associative-, l’Éducation nationale,les associations,les partenaires institutionnels - Conseil Général, Caisse d’Allocations Familiales, Direction Départementale de la Cohésion Sociale…-, les représentants de parents). L'élue, bien que satisfaite du chemin parcouru, ne minimise pas pour autant les problèmes rencontrés : parfois manque de formation des élus, risque d'isolement du coordonateur du Pedt, nécessité de trouver un cadre solide qui aille au-delà de la « bonne volonté » des personnes, etc. On mesure d'ailleurs toute l'énergie qu'il a fallu déployer pour parvenir à faire travailler ensemble les différents acteurs du PEL... Anna Angeli présente pour finir, sur une tablette numérique, un outil qui concrétise la globalité de la démarche : une frise chronologique interactive du parcours éducatif de l'enfant, qui met en évidence de façon très visuelle la complémentarité des temps éducatifs.
Un autre atelier intitulé « Définir des priorités communes » a permis à Didier Wagner, secrétaire général de la DSDEN du Gard, de montrer le rôle de l'éducation nationale dans l'élaboration et le suivi des Pedt dans ce département où la 1ère formulation du GAD remonte à mai 2013. Facilitation du montage des avants-projets, recours aux associations d'éducation populaire, recalage des horaires nécessaire à la rentrée 2014, vu la multiplicité des organisations des temps éducatifs. A la rentrée 2015, 85 % des 280 communes sont dotées d'un Pedt. Didier Wagner propose de s'appuyer sur le socle commun de connaissances et de compétence et sur le projet d'école pour bâtir le Pedt, afin de parvenir à une véritable complémentarité éducative.
De nombreux témoignages donc, qui montraient le chemin parcouru, chemin non pas tout tracé, parfois même tortueux...
Démocratie et éducation, conférence de Philippe Foray (5/11)
Philippe Foray, dans sa conférence, a interrogé les liens dialogiques entre « démocratie » et « éducation» permettant à chaque participant, quel que soit son horizon d'origine, de s’interroger sur « ce sur quoi porte l’éducatif ». Citant d'abord Hannah Arendt, il rappelle l'importance de l'éducation dans toute société : « Toute société a besoin d’éducation parce qu’elle a besoin de se renouveler », le terme renouvellement étant entendu, chez Arendt comme le point de rencontre entre un monde « déjà là » et les « nouveaux possibles » rendus par la naissance, réinterrogeant sans cesse les conditions du commun "L’éducation, par l’apprentissage du monde, prépare à son renouvellement". Citant Ricoeur, il rappelle que la démocratie porte en elle le concept même de « fragilité ». « Eduquer des citoyens dans une société démocratique c’est donc les porter à être conscients de l’importance de la démocratie autant que de ses imperfections et défaillances ». Philippe Foray distingue ensuite une citoyenneté (appelée aussi « civilité ») qui supposerait un "consensus", voire du "conformisme", avec un objectif de « paix sociale » - de la citoyenneté politique qui prendrait appui sur les convictions, l'argumentation, l'esprit critique. Il distingue la citoyenneté comme « statut » qui renvoie à l’idée d’un individu disposant de droits et de devoirs liés à une appartenance d’une citoyenneté d’engagement. Mais il distingue plus largement la citoyenneté dite « sociale » en tant que « citoyenneté de la vie ordinaire » pour reprendre ses termes, qui réduit souvent la construction du vivre ensemble à la « tolérance », conquise par la « civilité ». Pour lui, la citoyenneté politique permet de dépasser les écueils de la citoyenneté « sociale » en considérant la question du juste et de l’injuste. Ces deux formes d’appel à la citoyenneté n’induisent pas les mêmes pratiques éducatives. Cette citoyenneté là implique l'échange, l'acceptation de désaccords, voire la gestion de conflits. Selon lui, l'école (mais pas que) doit apprendre les « procédures démocratiques », les « sources démocratiques » et transmettre les « valeurs démocratiques « (issues pour l'essentiel du siècle des Lumières) en enseignant l'argumentation, l'importance de la parole, en favorisant le développement de l'esprit critique des enfants. L'enjeu de l’action éducative n'est-il pas de produire des citoyens « incommodes » d'après ses propres termes, plutôt que des citoyens qui se tiennent avant tout « tranquilles » ? Parvenir à un « désaccord raisonnable » semble le juste équilibre à trouver.
Le philosophe doute néanmoins que l'école soit le meilleur lieu d'exercice de la démocratie – ce qui n'a pas été sans provoquer quelques remous dans la salle... – du fait des relations asymétriques entre enseignants et élèves qui pour lui sont constitutives de l’école comme un espace spécifique, mais aussi en raison de son rôle de sélection et de différenciation des élèves. Il préfère envisager l’idée que d’autres espaces se constituent en lieu d’exercice de la citoyenneté afin que l’école conserve sa spécifique « exatraterritorialité », protégée des intérêts du monde social. Toujours selon le philosophe, la famille, les pairs, les associations – notamment l'éducation populaire - seraient plus à même de faire vivre les valeurs démocratiques que l'institution scolaire.
Philippe Foray affirme enfin que la société nourrit trop d'attentes vis-à-vis de l'éducation : « restaurer la dignité du politique » (Guy Coq), « « régler les problèmes du monde » (Fernando Savater). Selon Foray, « ces prises de position sont illusoires et contre-productives car elles formulent trop d’exigence vis-à-vis de l’école. Si les vertus civiques ne sont pas pratiquées d’abord par les adultes eux-mêmes, l’éducation ne servira pas à grand-chose ».
Une série de micro-conférences a ensuite été le point de départ d'une série d'ateliers, durant lesquels a été prévu un temps d'échange avec le public autour d'un certain nombre de préconisations émanant des Francas.
Intervention de Choukri Ben-Ayed, professeur de sociologie (6/11)
Les deux interventions de Choukri Ben Ayed, grand témoin des rencontres, ont été l’occasion de questionner le rapport éducatif/ territoire local, autour d’une problématique qui consiste à reposer la question du politique dans la mise en œuvre des PEDT : « Est-ce que l’émergence du local ne serait pas le signe d’une dépolitisation de l’action publique, du fait de la technicisation et du recours à des catégories consensuelles ?». Il se demande si l'émergence du local ne serait pas le signe d'une dépolitisation de l'action publique. Les dispositifs supplanteraient la politique, avec une visée plus court-termiste.
Le sociologue pointe également le manque de visibilité des dispositifs, trop nombreux, notamment pour les familles populaires qui ne les comprennent pas et du coup s'en auto-excluent. Selon lui, il est urgent de se réinterroger sous l'angle d'un service public local, qui pourrait être régulé par le national. Il cite la recherche qu'il a conduite à Orange, mairie frontiste, en pointant les dangers du localisme. Selon lui, réinjecter du service public permettrait de mieux combattre les inégalités. Choukri Ben-Ayed dénonce également la standardisation des rhétoriques des dispositifs, issue de la politique administrative. « L’Etat prénorme le dispositif. Les acteurs locaux se calent dans ces normes. On ne voit pas apparaître une absence de politique. Impossible parfois à la lecture des PEL de distinguer une politique de gauche d'une politique de droite » affirme-t-il... « Les dispositifs ont fini par se diluer dans du non-sens, dans un mouvement d'institutionalisation ». Il regrette au passage que l'éducation populaire se prête au jeu en se calant dans ces dispositifs.
Le sociologue souligne l'urgence qu'il y a à repolitiser les Pedt, c'est-à-dire à les inscrire dans le long terme. Sinon il existe un risque que tous les enfants du territoire français ne bénéficient pas des mêmes offres, au gré des élections locales. Pour lui, le levier de la démocratie locale doit être approfondi.
La synthèse des ateliers le dernier jour (6 nov.) a fait surgir les questionnements des participants autour d'un certain nombre de préconisations qui avaient été soumises à la réflexion des participants.
Les préconisations des Francas
- Territorialiser une gouvernance démocratique : voir les préconisations
- Favoriser la participation citoyenne des parents, des enfants et des adolescents : voir les préconisations
- Concevoir des parcours éducatifs de qualité : voir les préconisations
- Partager des espaces de formation : voir les préconisations
La clotûre des rencontres est revenue à Catherine Lapoix, adjointe au directeur à la Direction de la Jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, à Didier Jacquemain, délégué général des Francas et à Marc Sawiki, adjoint au maire de la ville de Brest lequel, à travers des propos empreints d'humour, a conclu ces 6èmes rencontres par une note d'optimisme.
La richesse des débats, les multiples rencontres entre professionnels d'horizons différents, les apports scientifiques proposés font tout l'intérêt de ces journées.
Il ressort que l'institutionnalisation des PEL ne garantit pas leur qualité. On ne décrète pas une culture commune : l'absence de dialogue entre les acteurs de l'école et ceux du périscolaire et de l'extrascolaire, reste encore une réalité, qui peut nuire à la construction d’une réflexion sur les enjeux et modalités de la continuité éducative. Des écueils comme le risque de standardisation des dispositifs qui nuit aux spécificités du local, ou bien l'absence d'élaboration d'un diagnostic solide qui peut conduire à des projets moins bien "ciblés", existent bels et bien.
La question de la formation semble avoir été posée comme un enjeu fort pour transformer les représentations de chacun des acteurs, si on veut faire évoluer les mentalités et les pratiques. La construction d'une culture commune qui part de la co-formation est une piste explorée à certains endroits, semble-t-il avec succès. On retiendra aussi l'idée d'un service public d'éducation qui a émergé à plusieurs reprises, comme instance de régulation du local et comme garant d'une certaine équité sur le territoire.
Anne Francou
Sidonie Rancon
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Source : http://www.francas.asso.fr/