École et familles. Une approche sociologique. Jean-Paul Payet
Jean-Paul Payet est sociologue de l’éducation. Professeur à l’Université de Genève, ses travaux portent principalement sur les acteurs « faibles » dans l’institution scolaire notamment dans les milieux disqualifiés.
L’ouvrage Ecole et Familles. Une approche sociologique a une double ambition : synthétiser les travaux en sciences sociales sur la relation entre les enseignants et les parents, en particulier ceux issus des milieux populaires et proposer des pistes d’action pour permettre cette relation entre deux mondes sociaux qui se méconnaissent. Cette double ambition permet d’intéresser à la fois le chercheur en sciences sociales qui souhaiterait avoir un état de la recherche sur la relation famille - écoles et les enseignants et praticiens du monde scolaire qui souhaitent interroger leurs pratiques et y puiser de nouvelles modalités d’action.
Le premier chapitre de l’ouvrage est consacré à une présentation des spécificités des écoles en France, en Suisse et au Québec. En France, l’auteur insiste notamment sur la difficulté structurelle de l’école républicaine à s’ouvrir aux parents et aux familles au-delà des quelques rencontres ponctuelles au cours de l’année (réunion de rentrée, fête de l’école). Si ces dernières années, l’école française a accru son ouverture, elle ne s’appuie pas, comme dans le modèle « anglo-saxon », sur l’idée que l’école fait partie de l’espace communautaire. Peu de parents interviennent directement dans l’école et l’école est rarement un lieu investi par les personnes du quartier en dehors des temps scolaires. Par ailleurs, l’auteur insiste sur les changements vécus par les familles au cours des trente dernières années, et la croissance des attentes éducatives en particulier des milieux sociaux défavorisés.
Le deuxième chapitre permet à l’auteur de souligner les nouveaux enjeux dans cette relation entre école et familles. Par-delà l’accroissement de l’enjeu scolaire dans les sociétés contemporaines, l’auteur revient sur le processus d’individualisation qui certes offre une reconnaissance plus marquée à l’individu mais participe également à créer des « entrepreneurs de soi », conduisant à ce que l’échec scolaire soit le résultat non pas de dysfonctionnements institutionnels mais d’une responsabilité individuelle de l’élève et/ou de la famille. Ajoutons que l’enjeu de la collaboration s’est affirmé entre familles et écoles. Si les parents sont devenus des partenaires pouvant investir l’école, il est attendu qu’ils fassent leurs « devoirs », c’est-à-dire qu’ils s’impliquent activement dans la scolarité de leurs enfants. Enfin, ce que J.-P. Payet qualifie de « professionnalisation » croissante de l’école, c’est-à-dire de la complexité des savoirs scolaires transmis et de la pédagogique adoptée, doit faire l’objet d’une réflexion afin que l’ensemble des parents puissent se saisir des savoirs et non uniquement ceux qui sont les mieux dotés en capital scolaire.
Dans un troisième chapitre, le sociologue s’empare des travaux consacrés à la relation et à la division du travail entre famille et école. Après avoir rappelé comment l’école s’est progressivement emparée des enfants et a qualifié les familles entre « fonctionnelles » et « dysfonctionnelles », l’auteur s’intéresse à la pluralité des vécus de l’école par les familles en fonction de leurs normes culturelles, de leurs histoires personnelles et de la place accordée et pouvant être accordée à l’école dans l’organisation familiale. Sur ce point, l’auteur rappelle avec brièveté et conviction comment les familles, sommées de prendre en charge la scolarité de leurs enfants, n’en n’ont pas les mêmes capacités. Quid de l’égalité face aux devoirs dans des familles où les parents ont des horaires de travail décalés et changeants par rapport aux horaires scolaires ? Dans des familles où un seul des parents est présent aux côtés des enfants ? Des familles vivant dans l’angoisse du chômage et de la précarité ? Ce sont autant d’éléments qui doivent interroger les enseignants et l’institution scolaire quant à leurs prescriptions scolaires. Ceci s’ajoute à des malentendus non seulement de la part des enseignants sur les normes et valeurs des familles issues des milieux populaires mais également des parents qui, éloignés des savoirs scolaires, peuvent critiquer une pédagogie jugée éloignée des « véritables » savoirs. Cependant, J.-P. Payet rappelle, en s’appuyant en particulier sur les travaux du sociologue B. Lahire comment certains enfants issus des milieux populaires parviennent à se faire un chemin au sein de l’école, s’appropriant les normes qui en découlent. La conclusion de l’auteur à ce chapitre reste sans appel : l’école échoue à assurer une condition d’égalité des chances entre enfants de milieux sociaux et, devant un fait social aussi massif, tend à le transformer en une évidence » (p.64).
Or, cette inégalité entre les enfants est renforcée par les stratégies des classes supérieures et des classes moyennes pour assurer la réussite scolaire de leurs enfants. L’auteur évoque en premier lieu la « domestication des enseignants» par les classes supérieures, à savoir leur capacité à peser et à imposer leurs normes dans la relation avec les enseignants. Quant aux classes moyennes, elles sont souvent en capacité de faire des « choix » et d’imposer aux enseignants certains dispositifs pour maintenir leurs enfants dans le système scolaire public. C’est ainsi que ce sont à ces classes moyennes les plus diplômées que l’on propose l’entrée dans des classes différenciées (bilingues, européennes), la mixité sociale dans l’établissement dissimulant alors la « ségrégation sociale (et ethnique) » en son sein (p.74). Ce sont aussi ces attitudes collectives face à l’école qui conduisent à des formes de ségrégation sociale renforcées à l’école.
Le chapitre cinq s’attarde sur les mécanismes de la participation institutionnelle des parents au sein de l’école et sur la manière dont les enseignants s’emploient à travailler avec les parents pour établir un dialogue avec eux, et à les convaincre d’une prise en charge médico-sociale de leur enfant en cas de dysfonctionnement scolaire. Or, ce développement de l’externalisation de la prise en charge des élèves en difficulté en dehors de l’école peut aussi conduire à des formes d’impuissance assumée et renforcée de l’institution scolaire qui s’appuie sur de « vrais » experts qui seraient les seuls légitimes à pouvoir agir. Et en cas d’échec de leur part, là encore, ce sont les familles et les enfants qui seraient individuellement responsables d’un tel processus.
Pour terminer l’auteur revient sur deux recherches-actions qu’il a mené avec les enseignants. Le premier exemple est celui de la rédaction d’un guide de l’entretien collaboratif avec les enseignants pour améliorer leurs échanges avec les parents issus des milieux populaires. Ce guide n’est pas une nouvelle injonction normative à destination des enseignants pour échanger avec les parents. C’est un outil de réflexion entre les enseignants pour qu’ils puissent échanger sur leurs pratiques et leurs « bricolages » du quotidien afin de produire une relation plus participative avec les parents d’élèves. La deuxième recherche-action vise la réussite de l’élève en levant les malentendus aussi bien des enseignants que des familles sur les attitudes et les comportements des uns et des autres. A travers des dispositifs d’aide personnalisée à la lecture, avec une séance à l’école et une séance au domicile de l’enfant, l’enjeu est de permettre l’accès à la lecture pour des enfants avec de très grandes difficultés dès le CP. Finalement, cette recherche-action met en lumière l’importance de rendre légitimes tous les parents dans l’aide qu’ils peuvent fournir à leurs enfants en matière scolaire et de rendre accessibles et compréhensibles les méthodes adoptées par l’enseignant.
Cet ouvrage est riche d’enseignements sur la manière dont l’école agit dans un monde social marqué par de fortes inégalités et des mécanismes de ségrégation.
Tout d’abord, cet ouvrage est une stimulante entrée pour celles et ceux qui s’intéressent à la relation entre école et familles afin d’avoir un panorama des études, principalement francophones, sur ce thème et des éléments majeurs mis en lumière par les différentes recherches conduites au cours des quarante dernières années.
Ensuite, cet ouvrage souligne comment les travaux en sociologie de l’éducation permettent de dépasser les discours individualistes sur l’échec scolaire. Au contraire, ces recherches et cet ouvrage mettent en lumière les effets des milieux sociaux sur la manière dont l’école est vécue et sur les relations entre famille et école. Ceci permet ainsi de saisir comment l’école, en tant qu’institution, se doit de considérer et de prendre en charge les dysfonctionnements et les inégalités qu’elle produit pour faire réussir tous les élèves.
Enfin, par les deux exemples mobilisés en fin d’ouvrage, ce livre est aussi un outil à destination des enseignants et des professionnels de l’éducation qui souhaiteraient associer recherche et enseignements pour initier de nouvelles réflexions et actions afin de lutter activement contre les inégalités scolaires. Même si le format court de l’ouvrage ne permet pas d’entrer dans le détail des protocoles et des résultats, il confirme l’intérêt de faire dialoguer pratique et recherche pour que les acteurs se mobilisent pour la réussite de tous les élèves.
Anouk Flamant, Observatoire PoLoc (avril 2018)
Références de l'ouvrage
Payet, Jean-Paul. École et familles. Une approche sociologique. Louvain-la-neuve : De Boeck, 2017 (Le point sur...) 133 p.