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Ecrire liberté. A l'école des migrants. Lauriane Clément

Compte rendu de lecture, par Anouk Flamant

Ecrire liberté. A l’école des enfants migrants est un ouvrage de Lauriane Clément, une journaliste qui a parcouru pendant une année, en région parisienne, des classes qui accueillent des enfants nouvellement arrivés en France et allophones. Cette démarche vise à rendre compte du quotidien dans les classes nommées UPE2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) (1) et des professionnels qui y interviennent. L’enquête se déroule principalement dans le secondaire. On suit ainsi sur une année l’histoire d’enseignants, et en particulier l’une d’entre elle, Sandrine, et ses élèves venus d’Afghanistan, de Chine, d’Algérie, du Sénégal. A travers les yeux de la journaliste, nous découvrons comment ces enfants apprivoisent l’école en France et le français. Venu.e.s en France avec des rêves et des espoirs, souvent après un parcours difficile, ces élèves se confrontent à de nombreuses difficultés pour (sur)vivre en France. Cet ouvrage offre donc une plongée dans un univers méconnu et peu médiatisé.
De cette lecture, nous ressortons bien sûr avec des histoires de vie d’enfants et de jeunes adultes qui racontent, à demi-mot, leur vécu et leur quotidien et s’accrochent à l’école comme à une bouée pour parvenir à vivre décemment en France. Ces parcours de vie sont saisissants, et nous aimerions en savoir encore plus sur chacun-e d’entre elles et eux.
La lecture nous donne aussi à voir les postures professionnelles des enseignant.e.s, mais aussi des chefs d’établissement, des assistantes sociales, des infirmières scolaires qui accompagnent au quotidien ces élèves. L’auteure raconte comment ces adultes dépassent régulièrement et à maintes reprises leurs strictes missions professionnelles pour soutenir et répondre aux problématiques socio-économiques de ces élèves. Ces adultes sont un des maillons qui permettra à certain.e.s de ces élèves de réaliser leurs rêves. Cette plongée dans les établissements scolaires dévoile aussi les résistances de certain.e.s enseignant.e.s à accueillir ces élèves allophones. Par-delà les discours sur la baisse supposée du niveau des classes qui serait due à l’arrivée et l’intégration de ces élèves dans des classes ordinaires, la prégnance des représentations négatives, voire des discriminations auxquelles ces élèves sont parfois confrontés ressort vivement. L’institution scolaire est souvent un lieu d’épanouissement pour ces élèves, mais aussi parfois un lieu où les exclusions de la société se rejouent.
Cette enquête journalistique dévoile les enjeux institutionnels de la prise en charge de ces enfants allophones. En sollicitant des responsables du CASNAV (2), l'auteure met en lumière la façon dont les pouvoirs publics offrent des réponses insuffisantes en raison des moyens existants mais limités consacrés à la prise en charge de tous ces enfants. Le déficit structurel de places dans les classes UPE2A, de places pour les mineurs isolés dans des hébergements décents, et la situation de jeunes adultes qui n’ont d’autres solutions que la rue, dévoilent à quel point sur les questions migratoires, l’Etat ne répond que très partiellement aux enjeux existants. Le discours des institutionnels est parfois celui d’un soi-disant « appel d’air » qui se créerait si l’accueil est de trop bonne qualité. Si aucune recherche n’atteste d’une telle dynamique, le/la lecteur.rice lit à travers les lignes comment l’Etat se décharge auprès d’individus et d’associations d’entraide pour qu’ils prennent en charge ces populations migrantes, dont la plupart vivent dans des situations socio-économiques extrêmement précaires. L’Etat contrevient ainsi à ses engagements en matière de scolarisation de ces enfants. Cet ouvrage illustre, une fois encore, la façon dont les politiques d’immigration françaises se focalisent sur l’éloignement des populations bien plus que sur la mise en place d’une véritable politique d’accueil. La situation des jeunes mineur.e.s isolé.e.s est particulièrement éloquente dans l’ouvrage. La journaliste rend compte de l’angoisse dans laquelle vivent ces jeunes, attendant à la suite d’entretiens et d’examens osseux leur reconnaissance comme mineur puis une potentielle inscription dans une classe pour étudier en France.
Enfin, cette lecture montre comment les institutions encouragent ces enfants étrangers, et notamment celles et ceux arrivé.e.s après 15 ans en France, à s’orienter vers des filières professionnelles de courte durée. Cela correspond certes souvent à des nécessités économiques pour les élèves, à des difficultés à atteindre le niveau scolaire requis pour poursuivre dans d’autres filières. Mais cela témoigne également des projections portées par les institutions et leurs agents sur ces populations que l’on oriente vers les métiers en tension (ceux du bâtiments, d’aides à la personne, etc.) pour lesquels la main d’œuvre manque. Or, cette dynamique rappelle les mécanismes de discrimination d’orientation au sein de l’école, mécanismes qui restent encore largement sous-estimés et qui pourraient faire l’objet de travaux de recherche.(3)
Cet ouvrage court est donc une fenêtre ouverte sur la scolarisation des enfants nouvellement arrivés en France et installés en région parisienne. Écrit par une journaliste, il donne une voix à ces enfants et nous fait toucher du doigt leur vécu et leur quotidien en classe. Evidemment, cet ouvrage ouvre de nombreux chantiers de recherche pour lesquels nous avons encore peu d’éléments. Si l'ouvrage se concentre principalement sur le niveau secondaire, nous aimerions en savoir plus sur les enfants allophones qui arrivent en primaire. Ces derniers parlent en général plus rapidement français. Rencontrent-ils tout de même plus de difficultés que leurs autres camarades ? De quelle manière les professeur.e.s d’école se mobilisent-ils pour soutenir ces jeunes ? Plus largement, cet ouvrage invite à une série de questionnements. En quoi ces parcours d’enfants migrants nous renseignent-ils sur les mécanismes de compréhension de la réussite et de l’échec scolaires ? De quelle manière les institutions conçoivent-elles la scolarisation de ces migrants ? Comment ce terrain d’enquête nous renseigne-t-il sur la manière dont l’Etat définit l’étranger en France ? In fine, s’intéresser à la scolarisation de ces enfants migrants, c’est aussi comprendre comment un Etat, en l’occurrence la France, produit des politiques à destination de l’étranger et les mécanismes d’exclusion / inclusion qui s’y déploient.

Anouk Flamant, Observatoire PoLoc 

Notes

(1). Les UPE2A sont le dispositif qui a remplacé depuis fin 2012 les classes d’initiation (CLIN) dans le primaire et les classes d’accueil (CLA) dans le secondaire.
(2) CASNAV = Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et les enfants issus de familles itinérantes et voyageurs.
(3) Voir sur ce point Dhume, Fabrice. La recherche française et la discrimination ethnico-raciale dans l'orientation scolaire : un problème de point de vue  in Journal du droit des jeunes
, vol. 308, n°8, 2011, pp. 28-32. 

Références de l'ouvrage


Clément, Lauriane. Ecrire liberté. A l’école des enfants migrants. Paris : Lemieux éditeur, 2017.

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