Observations à Vaulx-en-Velin : "Parlons d'ados" et "Orchestre européen"
Les 22 mai et 20 juin 2014, nous avons pu observer deux actions éducatives de grande qualité: la première portée par un centre social de la ville dans le cadre du Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP), la seconde portée par une poignée d’enseignants du collège Pierre-Valdo. Dans les deux cas, nous avons pu constater la place centrale de « pilotes engagés », la volonté de construire un projet avec et pas seulement pour leurs publics, le choix de s’inscrire dans un projet et dans la durée, et, enfin, des actions éducatives qui n’en sont pas moins esthétiques tant l’expertise des acteurs engagés était manifeste. Loin des images médiatiques et dépréciatives qui se disent représentatives de la vie des quartiers populaires, nous vous proposons une présentation de deux actions de qualité qui ont fait leurs preuves dans le temps et, qui, nous l'espérons, inspireront d'autres territoires.
Jeudi 22 mai, à 18h, suite à trois réunions de travail, l’une des responsables du centre social propose une rencontre entre un échantillon de « parents-relais » et des représentants de l’Education nationale dans le cadre du REAAP du Contrat éducatif local de Vaux-en-Velin.
L’objectif de cette rencontre est de réfléchir aux conditions de réussite des enfants, de « réfléchir ensemble sur ce qu’on a en commun et non sur les problématiques qui renvoient à des problèmes négatifs », d’apprendre l’écoute réciproque entre parents et institution scolaire. Combien de villes en France pourraient s’enorgueillir de réunir ainsi, dans un centre social de quartier et sur du temps extra-scolaire, des parents, six Conseillers principaux d’éducation (CPE) de trois collèges différents, une Proviseure-adjointe d’un lycée, sans oublier la coordonnatrice du Programme de réussite éducative (PRE) ? C’est toute la difficulté de ces rencontres que de nombreuses collectivités nomment généralement le « Café des parents ». Ici, il ne s’agit pas de dupliquer un dispositif préexistant, c’est un projet qui avance « à vue » à partir des ressources humaines mobilisées dans un temps limité. Un projet facilité par la mobilisation de ce « tiers espace » entre le collège et l’appartement familial, facilité également par la forte interconnaissance des acteurs et la stabilité des CPE sur le territoire.
Sur un plan chronologique, cette rencontre se déroule en trois temps. Tout d’abord, les sept parents d’élèves présentent un bilan des trois séances précédentes ; ensuite, la responsable de l’action propose de réfléchir « à l’étape suivante, de construire ensemble » pour faire des familles des « parents », c’est-à-dire des « partenaires », selon l’acception développée par Dominique Glasman ; enfin, la rencontre se termine par quelques pistes de « co-construction ».
Sur un plan lexical ou sémantique, le bilan des trois séances précédentes réalisé par ces sept mères de famille est significatif de ce que Pierre Périer a nommé « le différend », sinon le malentendu, entre l’école et les familles. Le thème qui revient le plus dans leurs discours est celui de l’opacité de l’institution scolaire, en particulier le secondaire. Ce champ lexical est présent dans le discours des parents (« faire tomber le rideau entre les parents et le collège ou le lycée », « c’est une rupture entre le primaire et le collège », « l’opacité du collège ») mais également dans celui de la proviseur-adjointe qui vient « vers eux pour créer de l’ouverture », voire d’une CPE qui affirme, elle aussi, vouloir se « montrer comme une partenaire ». L’opacité règne a posteriori dans les relations collège-famille, renforcée par la distinction « eux » et « nous ». Les autres thèmes sont ceux du « partenariat », du temps compris dans le sens du « long terme » et, enfin, du souhait de ne plus utiliser le mot « réussite », trop marqué du sceau de « l’échec »…
En résumé, tous sont unanimes pour dire que les règles de fonctionnement du collège et du lycée ne sont pas assez transparentes, que persiste une méconnaissance réciproque entre enseignants et parents («Je viens au conseil de classe mais je ne connais pas les parents et je ne sais rien sur l’environnement familial »), d’où l’intérêt et le besoin de se rencontrer, ce qui suppose un temps et un espace adaptés et communs. Ils soulignent, de concert, le « bon choix symbolique de faire ces réunions dans un centre social du quartier », une autre CPE ajoutant, en référence au dispositif « la Mallette des parents », que « les parents seront plus à l’aise pour s’exprimer à l’extérieur du collège ou du lycée ».
En revanche, quand l’échange s’oriente vers le « que fait-on ensemble pour améliorer la situation? », les propositions se réduisent curieusement à certains publics (élèves renvoyés, élèves déscolarisés) ou à certaines « instances », essentiellement les conseils de discipline. Face à ces propositions, on ne peut que déceler l’enracinement local des collèges et le poids des problématiques sociales auxquelles les parents, les enseignants, les CPE, etc., sont confrontés. A titre d’exemple, il est significatif d’entendre un CPE rappeler que tel collège est passé de 31 à 7 conseils de discipline par an…
En tant qu’observateur extérieur, le temps et l’attention accordés aux "conseils de discipline" lors de cette réunion nous semblent, dans un premier temps, surprenants. Pourtant, à entendre leurs nombres, « 31 ! », à écouter les mots des parents exprimant la « violence symbolique » de ces conseils (« je suis toujours traumatisée, ils rabaissent, rabaissent, rabaissent, … »), leurs demandes de mesures alternatives (« dans quelle mesure la sanction est éducative ? » se demande un parent), nous comprenons que ce choix fait partie de leur mémoire collective.
De toute évidence, les parents présents se sont sentis « blessés », directement ou indirectement, par le déroulement des conseils de discipline. Infériorisés par la méconnaissance des règles de fonctionnement de cette « instance », par la méconnaissance de leurs droits, par la sanction finale, ... Marqués par une certaine culpabilité, sinon impuissance, ces parents proposent de travailler sur la transparence des conseils de discipline et des conseils de classe. Omniprésent dans les intitulés, le terme « conseils » n’est cependant pas entendu de la même façon par chacun des acteurs …
En retour, les représentants de l’Education nationale font état des « instances » existantes dans lesquels les parents ont une place, voire de dispositifs comme « la mallette des parents » (dont le bilan est localement très nuancé…), mais, d’une certaine manière, ces représentants s’interdisent, pour l’instant, la possibilité de penser, avec les parents, un lieu et un temps où ce travail collectif pourrait avoir lieu dans l’établissement scolaire en dehors des dispositifs labellisés et « descendants ».
En conclusion, la principale perspective de travail évoquée par la responsable est de développer l’accès aux droits des parents, par le biais d'informations, voire de formations, dans trois domaines: les conseils de classe ou de discipline, l’orientation et les stages.
De manière complémentaire, nous verrons si la piste d’une « permanence » où parents et enseignants pourraient se rencontrer de manière moins formelle au sein des établissements scolaires sera poursuivie et nous inviterons ce collectif à nous raconter eux-mêmes, sur le site de POLOC, l'évolution de leur travail .
La seconde observation à Vaulx a eu lieu, le 20 juin dernier, au collège Pierre-Valdo. Dans la lignée de l’observation précédente, nous avons constaté, avec plaisir, que l’expérience de la « classe orchestre » est une expérience totale et partagée par une douzaine d’élèves et cinq enseignants (bassiste, guitariste, saxophoniste, clarinettiste, ...) Bien que les hiérarchies de l'institution scolaire soient, selon les époques, plus ou moins enclines à la pédagogie de projet, nous avons pu observer ce que cette pédagogie fait de mieux, à savoir inscrire les élèves dans un cadre qui donne du sens aux apprentissages sans les couper de leur environnement. Pendant le spectacle de la « classe orchestre », deux garçons ont eu le courage d’interpréter chacun une chanson, des musiques brésiliennes ont été jouées et d’autres musiques ont valorisé la diversité des instruments. Pour clore ce beau spectacle, réalisé devant une trentaine de parents d'élèves, les professeurs de musique, d’histoire et d’anglais ont présenté la vidéo de leur projet d’orchestre européen dont vous retrouverez le déroulé par ce lien. Un projet très ambitieux, soutenu par des fonds européens et porté pendant trois ans par ces trois enseignants. Ce projet interdisciplinaire a permis de donner du sens à la musique et à l’anglais comme outils de communication, et à l’histoire en permettant à douze collégiens d’aller à la rencontre de leurs pairs en Italie et en Irlande, ou de les accueillir en France.
Derrière ces deux projets scolaires, qui se doute de l’investissement, des difficultés rencontrées et du nombre d’heures demandés à ces trois enseignants qui ont fait le choix d'aller au-delà des formes d'enseignement classiques ? Pour le groupe de parole « Parents d’ados », devenu le projet « Parlons d’ados », qui se doute de la mobilisation de la responsable de cette action ? De celles des sept parents aux profils si différents ? De celles des CPE et de cette proviseur-adjointe ? De celle de la coordonnatrice du Programme de réussite éducative? Ce sont pourtant des projets comme ceux-ci, très peu médiatisés, qui donnent la substance d’une politique éducative locale. Quelles que soient les politiques territorialisées et descendantes, ces acteurs éducatifs locaux offrent ainsi des mobilisations exemplaires et pertinentes. La pédagogie de projet autour de "l'orchestre européen" donne du sens, voire du goût aux apprentissages scolaires, pendant que l’action « Parlons d’ados » rapproche les parents des représentants de l’Education nationale, permet l’écoute réciproque et, surtout, interpelle le fonctionnement d’une institution scolaire souvent jugée "opaque" et repliée sur elle-même.
Sébastien Bouteix
Chargé d’études à l’Observatoire PoLoc, IFE, ENS de Lyon.