Entretien avec Bertrand Gohier
Bertrand Gohier est coordonnateur du PRE de Rennes |
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Bertrand Gohier est coordonnateur du PRE de Rennes depuis douze ans. Issu du secteur de l'animation socioculturelle où il a débuté comme animateur de terrain, il a travaillé dans les collectivités territoriales, notamment à Nanterre, dans des fonctions de directeur de service puis dans une association en Bretagne, avant de rejoindre la ville de Rennes. Formé à l'école de l'éducation populaire (les CEMEA, les Francas) , il a toujours travaillé en direction des familles populaires.
Bertrand Gohier est également cofondateur de l'Anaré (1) (avec Frédéric Bourthoumieu) dont il est actuellement le président.
Quelles ont été les conditions de mise en place du PRE à Rennes ?
Bertrand Gohier : la mise en place du PRE local en 2006-2007 s’est faite dans le contexte du CUCS (2). Nous ne partions pas de rien à Rennes sur les questions éducatives. On s’est appuyé sur les nombreux travaux universitaires existants, sur les données socio-économiques produites par l'Apras (3). Il existait un réseau territorial très riche au niveau des partenaires sur les questions éducatives et sociales au sein duquel nous avons enraciné le PRE. Le PRE est donc un outil de la politique éducative qui s'est inséré dans un ensemble préexistant. Il faut ajouter que dès le début nous avons été deux recrutés, Delphine Commelin (4) et moi-même, et associés pour appréhender la situation locale et les problématiques émergeantes sur lesquelles le PRE pouvait être utile. Nous avons dû faire la démonstration de cette utilité auprès des élus afin de les convaincre de porter politiquement ce dispositif, ce qui n'allait pas de soi pour beaucoup. On a pu ainsi trouver assez rapidement notre place dans le tissu éducatif local, par le jeu des alliances en reconnaissant et valorisant les places et les rôles de chacun.
Quel est l'ancrage actuel du PRE ?
Bertrand Gohier : le PRE fait référence et est clairement identifié par tous. Il n'a plus à faire ses preuves car il bénéficie d’une reconnaissance locale et institutionnelle claire. Il s'est installé dans la durée. De plus il est un élément du PEL que j'ai aussi la mission de coordonner. Ce double portage (même s'il est chronophage !) est bénéfique au PRE qui acquiert une cohérence renforcée. De plus le PRE apporte par les parcours de suivi des éléments de connaissance précis et précieux à la politique éducative locale.
Quelles sont les relations avec l'Éducation nationale ?
Bertrand Gohier : nous travaillons beaucoup avec l'Education nationale dont émane la grande majorité des saisines (5). Néanmoins, certains directeurs d'école refusent encore de travailler avec nous car ils n'ont toujours pas accepté que les villes s'intéressent aux questions éducatives. Parfois ils se sentent remis en cause par certains enfants quand des dysfonctionnements ponctuels sont détectés. La nouvelle politique de l'éducation prioritaire a aussi recentré les établissements sur des objets très scolaires avec des injonctions scolaires prioritaires qui ne facilitent pas la prise en compte globale de l'enfant. Sans parler de logiques de mise en concurrence entre certains dispositifs…
La problématique actuelle porte plutôt sur les collèges qui globalement ont encore beaucoup de mal à concevoir de travailler avec des partenaires extérieurs sur les parcours personnalisés. La dimension éducative globale et territoriale est peu investie par les collèges même ceux situés en REP et REP+. Pourtant un élève passe seulement 160 jours à l'école et 205 jours hors de son établissement scolaire ! C'est une réalité qu'on ne peut pas ignorer.
Quel impact a eu la réforme des rythmes scolaires sur le PRE ?
Bertrand Gohier : la réforme des rythmes est un élément qui à Rennes a fracturé les collaborations en rompant un certain nombre de liens entre les services de la ville et les équipes enseignantes, mettant ainsi à mal la coéducation tant revendiquée. En même temps la réforme nous a permis d'avoir de meilleures relations avec les collèges par le biais des parcours avec le cycle 3.
Selon vous, quelle est la plus-value du PRE dans l'accompagnement éducatif ?
Bertrand Gohier : c'est essentiellement la fonction de coordination qui fait la force du dispositif. Les familles nous disent : « Vous êtes capables de faire le lien entre les enjeux de santé, de socialisation, ce qu'on n'est pas encore capables de faire. Vous nous aidez à mieux apprécier nos fonctions parentales.»
En quoi le PRE aide-t-il à combattre les inégalités éducatives ?
Bertrand Gohier : il cherche à remettre de l'équité là où, dans les zones d'éducation prioritaire, il y a des insuffisances en terme de soutien parental, de culture, etc. dans une visée éducative et émancipatrice.
Comment est abordée la place des parents dans le PRE ?
Bertrand Gohier : dans les parcours personnalisés les parents sont un élément clé de l'accompagnement autant que les jeunes. Ils sont un élément composant le diagnostic. On ne peut travailler la question éducative sans tenir compte du contexte familial. 25% des parcours coordonnés montrent des familles en grande précarité, avec des problématiques d'épuisement des parents. On a fait le choix de s’appuyer sur les compétences des parents en les considérant comme des ressources plutôt qu’en pointant leurs manques et leurs fragilités. On se situe dans une posture peu injonctive, de reconnaissance telle que la définit Laurent Sochard (6).
Quels sont les liens avec l'action sociale ?
Bertrand Gohier : nous entretenons de saines collaborations de terrain. Un des éléments qui pose problème c'est que l'aide sociale à l'enfance ne se déclenche qu'à partir du moment où la famille en fait la demande. Or, nous constatons d'une part qu'il y a une grande défiance de la part des familles populaires vis-à-vis de l'action sociale, d'autre part qu'elles ne sont pas toutes en capacité d'exprimer une demande. Notre rôle d'accompagnement consiste parfois à favoriser l'expression de la demande, ce qui prend beaucoup de temps, au détriment de l'action éducative. Il faudrait davantage travailler étroitement avec l'action sociale sur ces moments-là, ce qui pour l'instant n'est pas possible dans les faits. Il ne s'agit pas non plus pour nous de nous substituer à l'aide sociale à l'enfance.
Quel continuum pour les PRE ?
Bertrand Gohier : c'est vrai que les PRE s'arrêtent à 16 ans, en tous cas à Rennes nous n'avons pas mis en place de PRE 16-18 ans. C'est pourtant une vraie question. On n'a pas beaucoup de leviers lorsque le jeune n'est plus au sein de sa famille. En plus, les jeunes ont souvent à cet âge-là une vraie réticence à demander de l'aide.
Comment mesurez-vous les effets des parcours ?
Bertrand Gohier : les situations sont trop complexes pour qu'on puisse dire que c'est le parcours, seul, qui a eu tel ou tel effet… Par contre on sait que le PRE produit des effets sur la question de l'estime de soi, sur la réassurance avec l'école, via l'accès à des expériences collectives diverses, sur une meilleure perception de l'environnement social qui favorise la remobilisation de l'enfant, du jeune dans le travail scolaire, dans un projet professionnel et donc dans son parcours personnel. Il y a aussi parfois des effets positifs sur le regard que portent les éducateurs au sens large sur un enfant qui a bénéficié d'un suivi. En tous cas la plupart des témoignages d'anciens jeunes ayant bénéficié d'un PRE en témoignent et vont dans ce sens !
Propos recueillis par Anne Francou (avril 2018)
Notes
Note (1). L’Association Nationale des Acteurs de la Réussite Educative est une association de professionnels qui comprend 6 grands réseaux. Dans une logique de valorisation et de montée en compétences des équipes elle organise des rencontres, colloques, etc. cf. site officiel : https://anare.fr/
Note (2). CUCS = Contrats urbains de cohésion sociale, qui ont succédé en 2007 aux contrats de ville.
Note (3). APRAS = Association pour la promotion de l’action et de l’animation sociale. cf. site officiel : http://www.apras.org/
Note (4). Delphine Commelin est référente des parcours personnalisés.
Note (5). Les zones d'éducation prioritaires de Rennes comprennent 20 écoles et 7 collèges.
Note (6). Laurent Sochard est psychosociologue.