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Entretien avec Didier Jacquemain


 

Quel a ete votre parcours avant d'etre delegue general des francas ?

Didier Jacquemain : J’ai commencé dès l’âge de seize ans l’encadrement de jeunes enfants et d’adolescents dans les centres de loisirs, qu’on appelait à l’époque les « centres aérés ». J’y ai découvert les notions d’engagement, de militantisme pour la cause enfantine et l’éducation par les loisirs. Ensuite, j’ai été élève d’une Ecole normale pour devenir instituteur. J’ai poursuivi en parallèle un parcours militant au sein de la Fédération nationale des Francas en tant qu’animateur, puis en tant que directeur de centre, formateur d’animateurs, responsable de sessions. Mon expérience comme enseignant dans ce qu’on appelle aujourd’hui les EREA (1) m’a conforté dans l’idée qu’il fallait trouver des approches et des pratiques pédagogiques qui garantissent l’adhésion des publics, dans un esprit en somme plus proche de  celui de l’éducation populaire que de celui en vigueur, à cette époque, au sein de l’Education nationale. Puis on m’a proposé de devenir permanent au sein de la Fédération nationale des Francas, dans un département. Durant sept ans, j’ai développé l’action territoriale de la Fédération ainsi qu’un secteur de formation professionnelle. Ensuite, j’ai été délégué chargé d’une région - ce qui correspond chez les Francas à un espace de coopération pour la formation et de coordination des associations départementales -  avant de rejoindre le niveau national. Pendant dix-huit  ans, j’y ai assumé différentes responsabilités : j’ai notamment dirigé l’activité de l’Institut pour l’action éducative et sociale, un des premiers outils qui ait formalisé les projets éducatifs locaux. J’ai été également en charge de la communication et de l’information (pensées dans une logique de mobilisation du mouvement et de ses acteurs). Cela fait maintenant quatre ans que j’occupe mes fonctions actuelles. 

Quelle est la place des Francas dans le paysage éducatif français ?

Didier Jacquemain : Le réseau des Francas comporte cent entités au niveau du territoire (associations régionales et unités départementales comprises) qui elles-mêmes réunissent 1200 organisateurs de 5000 centres d’activités. Historiquement, la place des Francas dans le paysage éducatif français est la même que celle qui avait été prise à leur création en 1944, c’est-à-dire un positionnement sur le champ des loisirs éducatifs en proximité immédiate avec l’école avec le développement du périscolaire. Les premières activités périscolaires se sont développées au début des années 50, surtout dans les grandes agglomérations, puis ont explosé dans les années 80, notamment à partir du moment où l’on a commencé à réfléchir à la question des temps éducatifs et aux rythmes de l’enfant. Pour nous, le périscolaire est l’ensemble des temps dans la proximité de l’école : l’accueil du matin, avant la classe, sorte de « sas » entre la famille et l’école ; le temps de la restauration scolaire et le temps des activités périscolaires. Sur un grand nombre de territoires avec lesquels nous travaillons, ces trois temps sont pensés dans un projet éducatif global, lui-même articulé avec le projet d’école et les intervenants éducatifs des deux espaces. 
Nous produisons également des outils pédagogiques sur des champs variés : le numérique, le développement durable, les pratiques artistiques et culturelles, etc. dans une logique de mouvement d’éducation populaire.

 Comment les Francas se positionnent-elles vis-à-vis de l'institution scolaire ?

Didier Jacquemain : Les Francas sont une association éducative « complémentaire de l’enseignement public ». Je dirai que la notion de complémentarité éducative a évolué depuis son installation par le ministre de l’éducation nationale Alain Savary dans les années 80. L’idée d’une école qui est au centre et de satellites qui gravitent autour a peu à peu évolué. Depuis la loi de Refondation de l’école, on est davantage dans une logique de partenariat éducatif (peut-être faudrait-il dire « alliance éducative en construction ») avec les associations, les parents, les collectivités territoriales. La loi a rendu possible un processus de transformation de l’école. Certains peuvent considérer que cela ne va pas assez vite… Il n’empêche qu’en rapprochant, dans la logique des Pedt, la réflexion autour de l’éducation, en mobilisant les collectivités locales, en travaillant plus en proximité, on assiste à une transformation du paysage scolaire. Il faudra bien en tirer des conclusions sur la gouvernance de l’éducation dans notre pays, les passerelles à installer plus solidement entre l’école et les activités périscolaires, les liens à renforcer entre familles et école, la contribution et la diversité des temps éducatifs, etc.
Les Francas sont fortement mobilisées sur la question des rythmes depuis les années 80, sur les projets éducatifs locaux (années 90), à la fois dans une logique d’architecte pour accompagner la construction des projets avec les différents acteurs et dans une logique d’artisan, puisque nous sommes acteurs dans la mise œuvre des propositions éducatives au plan territorial.

Les dernières Rencontres des PEl de Brest, pilotées par les Francas, ont été consacrées aux Projets éducatifs de Territoire. Où en est la réflexion sur ces projets dans les Francas ?

Didier Jacquemain : Cela fait une dizaine d’années que l’on organise les Rencontres des PEL avec la ville de Brest sur le thème des projets éducatifs locaux. C’est ce travail de réflexion, de mobilisation d’un certain nombre d’élus locaux, de la communauté éducative au sens large, qui nous avait conduit, avec le Réseau français des villes éducatrices, l’ANDEV et la Ligue de l’enseignement, à prendre l’initiative d’un rassemblement pour formuler l’Appel de Bobigny (2) sur la nécessité d’une politique nationale et territorialisée. Cet appel a d’ailleurs certainement contribué à inscrire dans la loi de Refondation de l’école la question des projets éducatifs territoriaux. Une première marche a été franchie quand, à travers  la réforme des rythmes scolaires et des temps éducatifs, a été inscrite dans la loi la nécessité d’un Pedt (3). Une deuxième marche a été franchie récemment en pérennisant le fonds de soutien aux communes (qui ont, dès lors qu’elles  mettent en place la réforme des rythmes,  la nécessité d’élaborer un Pedt) (4). Pour autant, nous n’avons pas la naïveté de penser qu’il suffise qu’il y ait une loi, une circulaire et des décrets, pour considérer qu’on traite la question de l’éducation au plan territorial… Ça ne suffit pas !

Les Francas revendiquent des « projets locaux d’éducation ». Que défendez-vous à travers ces « PLE » ?

Didier Jacquemain : Pourquoi cette approche des « projets locaux d’éducation »  par les Francas, qu’on pourrait considérer comme un simple jeu sur les mots ? On souhaite que la question de l’éducation  ne se réduise pas aux temps éducatifs qui sont dans l’immédiateté du temps scolaire, mais qu’elle prenne en compte la question des espaces d’accueil des enfants et des adolescents dans la ville, l’aménagement urbain, la mobilité dans la ville (transports), la cohérence entre les temps familiaux et les temps sociaux, l’accessibilité des services municipaux (bibliothèques, piscines, etc.). Le «PLE» est finalement un projet qui s’assure que l’éducation ait été pensée dans ses différentes composantes, en s’appuyant sur une analyse fine des besoins éducatifs, sociaux et culturels des enfants, des adolescents et des familles sur les territoires.

Quelles sont les idées défendues à travers les « comités locaux d’éducation » ?

Didier Jacquemain : L’éducation est un bien commun partagé qui doit mobiliser l’ensemble des citoyens. Chacun ayant sa propre représentation de l’éducation, il est nécessaire qu’il y ait des espaces où les différents acteurs puissent débattre et construire ensemble. C’est le rôle des «comités locaux pour l’éducation». Ces espaces ne sont pas pensés uniquement dans une logique d’opérationalisation mais comme des lieux où l’éducation doit pouvoir se dialoguer, où par exemple on communique les travaux de la recherche, où les chefs d’entreprise puissent dialoguer avec d’autres acteurs du territoire, où les parents puissent venir poser les questions qui les interrogent, etc., sans pour autant qu’il y ait de réponse structurée immédiate apportée (ce qui relève davantage d’instances comme des groupes de pilotage, des groupes de rencontre institutionnels).

Selon vous, comment s’articulent local et national dans un contexte de territorialisation des politiques éducatives ?

Didier Jacquemain : Les différents points que nous avons évoqués renvoient finalement à la question de la gouvernance du système éducatif dans notre pays. Le rôle de l’Education nationale doit rester national pour garantir les éléments de cohérence - je pense au socle commun de connaissance, de compétence et de culture, aux programmes, à la formation des enseignants – avec la nécessité qu’il existe au niveau national une animation forte des politiques éducatives, avec les nécessaires transversalités à construire sur les différents champs : la culture, les pratiques sportives, la santé, la famille, etc. Nous sommes dans la même approche sur le plan territorial avec les projets locaux d’éducation. C’est une dimension qui peut paraître quelque peu utopique, mais pour autant, on a clairement identifié ces dernières années une évolution des postures au niveau national, avec une animation plus forte des politiques nationales (aménagement des temps éducatifs, Parcours d’éducation artistique et culturelle, convention signée récemment entre le Ministère de l’Education nationale et le Ministère de la culture, positionnement de la CNAF, etc. ) qui montre que l’ensemble des acteurs se rassemble autour de perspectives communes. Il faut entretenir cela et le rendre plus visible. 
Quant au niveau local, le niveau de la proximité, ce qui est étrange c’est que bien qu’on ait territorialisé un certain nombre de politiques d’éducation - je pense notamment à l’éducation prioritaire – on a parfois l’impression que les projets éducatifs décrits territorialement se construisent d’offres, de réponses aux demandes sans qu'une analyse fine des besoins éducatifs, sociaux et culturels des enfants, des adolescents et des familles ait été conduite sur le territoire. Cela renvoie à la problématique des inégalités, qu’on ne résoudra pas en construisant des réponses identiques sur l’ensemble des territoires. Il faut prendre en compte la diversité des besoins éducatifs et culturels. La place du local, très certainement, se situe autour de cette question-là. Le local doit être l’endroit où se construit la cohérence entre la politique scolaire nationale et la prise en compte de la globalité de l’éducation sur les différents temps, adaptée aux réalités territoriales. Il va falloir certainement quelques années pour mettre en œuvre cette approche… Il faut s’interroger sur la manière dont ces politiques sont animées par l’Etat sur le territoire. De quoi avons-nous besoin demain ? Piloter départementalement avec l’inspection académique au service de l’Etat déconcentré dans une relation aux élus locaux ? Une sorte de conseil national de suivi des questions d’éducation où Etat et collectivités se concerteraient peut être une idée à creuser.

Le climat politique et social que connaît la France depuis plus particulièrement un an a-t-il modifié les actions menées par les Francas ?

Didier Jacquemain Oui, bien sûr, pour trois raisons. Il se trouve que lors du premier attentat en janvier 2015, nous venions de voter notre projet Avec les enfants et les jeunes : Ensemble pour l’éducation issu d’un travail militant réalisé dans le cadre d’un congrès. Nous avons pu vérifier à cette occasion la pertinence des analyses que nous avions faite de la société française et du monde. La question de la laïcité, par exemple, qui est présente historiquement chez les Francas, a été plus particulièrement retravaillée depuis une quinzaine d’années, avec d’autres organisations telles que les Cemea et la Ligue de l’enseignement. Nous sentions bien que sur cette question, il y avait des choses à faire, mais peut-être n’avons-nous pas été assez percutants ? Deuxième raison : nous nous sommes fortement mobilisés dans le cadre de la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République avec notamment la production de ressources autour de la laïcité. Troisième raison : la vague d’attentats horrible de la fin de l’année 2015 qui ont pris la jeunesse pour cible, et les résultats des élections régionales qui ont suivi avec le risque de voir reculer les valeurs que nous défendons (humanisme, laïcité, république, paix), tout cela a conduit notre mouvement à ajuster sa manière d’agir et à s’assurer d’une contribution plus forte de l’éducation populaire.
Quatre éléments structurent notre perspective d’action pour les deux ans qui viennent : attirer plus fortement l’attention sur la situation des enfants et des adolescents, dans une période de difficultés économiques et de peurs ; développer des pratiques éducatives qui prennent en compte les valeurs à partager aujourd’hui (diversité, agir ensemble, comprendre le monde…) ; mobiliser un maximum d’acteurs (à travers les comités locaux pour l’éducation, la formation des permanents, bénévoles, élus…) ; enfin, développer une expression politique interpelant le grand public, les pouvoirs publics et les différents corps intermédiaires, chaque fois que c’est nécessaire, et proposer des solutions sur ce qui est notre cœur de métier : les enfants et les adolescents dans notre pays et leur éducation.

Propos recueillis par Anne Francou - janvier 2016

Notes 

Note (1) EREA = Etablissement Régional d’Enseignement Adapté
Note (2) Consulter l’appel de Bobigny : http://www.villeseducatrices.fr/ressources/page/Appel_de_Bobigny_et_textes_complementaires.pdf
Note (3) cf. circulaire n° 2013-036 du 20-3-2013 : Écoles maternelles et élémentaires : Projet éducatif territorial : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=70631
Note (4) : cf . article du 7 janvier 2016 paru sur le site Localtis.info : http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250270077285&nl=1

Pour aller plus loin 


L’éducation au cœur des territoires : du projet éducatif territorial au projet local d’éducation : la contribution des Francas. Les Francas, mai 2015. 51 p.

Avec les enfants et les jeunes, ensemble pour l’éducation. Les Francas, avril 2015. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.francas.asso.fr/Hub/Portail/FRANCAS_PUB.nsf/0/749648D907D2BE2EC12574D700447F4C/$File/Francas%20Projet%202015-2020%20Externe_BD.pdf

Laïcité, citoyenneté et action éducative : repères et pistes d’action. Les Francas, avril 2015. Disponible en ligne à l’adresse : http://pedt.education.gouv.fr/sites/default/files/pedt_citoyennetelaicite_contributionfrancas.pdf