Rencontres des villes éducatrices
Rencontres des villes éducatrices organisées par le RFVE sur le thème Les mixités, de la petite enfance à l'autonomie. Consulter le programme Source : http://www.rfve.fr/ag-30-novembre-2016.html |
---|
Les rencontres du Réseau français des villes éducatrices qui se déroulaient les 30 novembre, 1er et 2 décembre 2016 à Metz avaient pour thème « les mixités, de la petite enfance à l’autonomie ». Les conférences et ateliers ont permis d’aborder durant ces journées les enjeux de la mixité culturelle, sociale, scolaire, socio-économique, migratoire. Pourquoi et comment les villes doivent-elles s’emparer de la question des mixités dans le système éducatif ? Quels bénéfices la mixité peut-elle apporter, mais aussi quels freins existent à la mise en place d’une réelle mixité dans les territoires ?
30 novembre 2016
La conférence d’ouverture donnée à l’hôtel de ville par Choukri Ben Ayed, intitulée Construire une politique de mixité sociale à l’école : un défi pour l’Etat, les collectivités locales et la société civile, a été l’occasion pour le sociologue de définir les enjeux d’une politique de mixité sociale à l’école (1). Celle-ci doit réduire les inégalités scolaires, améliorer les conditions globales de scolarisation, rompre avec les logiques de ségrégation et améliorer la qualité du service public d’éducation. Choukri Ben Ayed a décliné cinq modes d’intervention publique existant pour gérer la mixité au sein des établissements scolaires :
- la sectorisation
- la hiérarchisation des candidatures individuelles (par le biais de logiciels comme Affelnet ou APB)
- la mise en place de quotas (la fameuse ‘discrimination positive’ héritée des Etats-Unis)
- le tirage au sort
- l’attractivité de l’établissement (selon une logique de type "loi du marché").
Le chercheur a rappelé que la loi de refondation de l’école a introduit le principe de mixité sociale des publics scolarisés, et que l’éducation nationale a lancé en novembre 2015 une expérimentation sur la mixité sociale dans les collèges de départements volontaires (2). Mais pour que de tels projets fonctionnent, il est nécessaire que l’ensemble des partenaires se mettent d’accord, ce qui relève souvent d’un « alignement des planètes » - selon ses propres termes - entre tous les partenaires. Parmi les autres points de tension, il a cité l’éparpillement des solutions, la question de la pérennité du pilotage, les risques de paralysie à l’échelon local, le manque d’implication de l’éducation nationale, ainsi qu’un risque d’instrumentalisation du concept de mixité.
Parmi les nombreuses réactions suscitées par cet exposé, des témoignages d’élus des villes de Paris, Brest, Dijon, Saint-Etienne, Orly, Toulouse, ainsi qu’une prise de parole virulente d’un personnel de l’éducation nationale, affirmant ne pas se reconnaître dans les propos de Choukri Ben Ayed sur l’éducation nationale.
1er décembre 2016
La matinée du 1er décembre, qui se déroulait dans les locaux de l’ancien Conseil régional de Lorraine, a permis une ouverture des débats sur les politiques éducatives de deux pays étrangers : l’Allemagne, avec la présence d’élus de la Sarre et de Rhénanie-Palatinat, et le Luxembourg. La table-ronde qu’animait Nathalie Mons, présidente du CNESCO, a mis en lumière certaines préoccupations communes au-delà des frontières, malgré les différences d’organisation administrative et politique. Le Ministre de l’éducation du land de la Sarre, Ulrich Commerçon, a rappelé que l’Allemagne est formée de 16 lander autonomes, et que l’école est du ressort de chaque land. Il n’y a pas non plus de collège unique sur le modèle français, et les choix d’orientation interviennent plus tôt en Allemagne. Pas de système éducatif national donc, mais quelques éléments de contexte propres à l’Allemagne : d’un côté 300 000 enfants issus de l’immigration accueillis en 2015, de l’autre un vieillissement de la population. Ulrich Commerçon a développé quelques moyens mis en œuvre en Allemagne pour accueillir ces jeunes et les former : un apprentissage intensif de la langue allemande, le renforcement d’une culture de l’accueil chez les personnels, la valorisation du plurilinguisme, un meilleur dialogue entre les acteurs. Le système éducatif allemand est dans une phase de mutation, avec l’introduction à l’école de l’évaluation par compétences, l’importance accrue du rôle des parents dans l’école, la nécessité de l’interdisciplinarité et la réforme du cursus de formation des enseignants. Autant de points qui résonnent aux oreilles françaises… L’adjointe en charge de l’éducation de la ville de Trèves, Angela Birk, a rappelé que l’école primaire relevait de la compétence des communes. Parmi les points de réflexion actuels : le passage du jardin d’enfants (non obligatoire et peu fréquenté) à l’école primaire, la coopération parfois difficile entre travailleurs sociaux (qui relèvent des communes) et enseignants (recrutés par le land). Thomas Brück, directeur des services Education, culture, sciences et environnement de la ville de Sarrebruck, est revenu, quant à lui, sur la réforme dite des Ecoles ouvertes toute la journée que l’Allemagne a mise en place à partir de 2008. Parmi les nombreuses implications de cette réforme (recrutements, financement, etc.), il a fallu s’interroger sur les relations entre le quartier et l’offre des établissements scolaires. Enfin, selon lui, mixité sociale et mixité scolaire sont fortement liées. Le témoignage de Colette Mart, échevine de l’éducation de la ville de Luxembourg, a fait ressortir une autre réalité : celle d’une ville aux flux migratoires certes importants, mais à la mixité sociale et scolaire peu développée. Citant l’exemple d’une école du quartier de la gare où se concentrent 99% d’enfants d’origine étrangère (portugais, russes), elle évoque un fort encadrement des familles dans la précarité, à qui sont proposés des cours de langue intensifs, des activités socioculturelles de l’éducation non formelle. L’arrivée de 60 enfants réfugiés dans la ville (qui compte plus de 110 000 habitants) ne semble pas avoir posé de souci particulier.
Nathalie Mons a fait état de la ségrégation à l’école à partir des différents travaux réalisés par le CNESCO. Concernant l’étude sur la mixité sociale à l’école (3), elle a précisé qu’il s’était agi d’embrasser les différentes mixités, qu’il s’agisse de mixité socio-économique, scolaire ou d’origine migratoire, celles-ci étant d’ailleurs liées les unes aux autres. Des études d’économistes ont montré que la ségrégation scolaire est certes liée à la ségrégation résidentielle, mais que les effets de l’une sur l’autre ne sont pas si mécaniques que cela. Quelques chiffres avancés par Nathalie Mons : on peut qualifier d’établissements ghettos les 10% d’établissements qui accueillent 2/3 d’élèves socialement défavorisés ; 45% des collèges ont des classes de niveau. La France est clairement en difficulté pour faire réussir les établissements où sont concentrés les élèves socialement défavorisés, contrairement à d’autres pays. Nathalie Mons a cité une séries d’expériences menées à l’étranger, semble-t-il positives : au Danemark (pratique du busing qui a consisté à sortir de leur quartier des jeunes issus de l’immigration pour les immerger pendant deux ans dans un établissement à majorité linguistique danoise), à Londres (pratique des quotas de niveau scolaire), à Copenhague (rôle actif des parents).
La présidente du CNESCO a également présenté une enquête menée auprès des chefs d’établissements sur la constitution des classes, montrant toute la complexité de cette tâche.
Elle a affirmé qu’il existe clairement des liens entre mixité sociale et apprentissages, les élèves les plus en difficulté bénéficiant de la mixité sociale, ce qui n’est pas le cas des élèves qui réussissent le plus. Les effets positifs de la mixité scolaire sur la citoyenneté sont également avérés (respect, violence, santé). En revanche, mixer des publics très différents n’a pas d’effets positifs car il faut un continuum et ne pas mixer les extrêmes.
En conclusion, Nathalie Mons pose quelques conditions de réussite de politiques de mixité scolaire :
- une communication avec les parents centrale
- des transports efficaces
- une bonne formation des personnels
- le libre choix laissé aux familles entre le public et le privé
- établir un continuum entre le primaire et le secondaire
- impliquer la petite enfance
- une construction fine des mixités
A noter que les données nationales ne concernent pas l’enseignement primaire, pour lequel la recherche manque de données.
La chercheuse conclut en disant que les politiques éducatives ne sont ni de droite ni de gauche, sans quoi "on ne pourra avancer sur la question de la mixité dans ce pays".
Egalement présents durant ces journées l’éducation populaire, en la personne de Didier Jacquemain pour les Francas et le CAPE, Hélène Grimbelle pour la Ligue de l’enseignement, Hervé Pritrsky pour les Pep57, ainsi que Canopé Grand-Est avec Brigitte Courbet-Manet. Tous ont présenté leur action éducative, réaffirmé les valeurs qu’ils portent notamment sur la question de la mixité, se situant dans la complémentarité avec l’école, partenaires privilégiés de la co-éducation. Enfin, Gaétan Felici, inspecteur du premier degré, a clos la journée, en mettant l’accent sur l’importance de la mixité à l’école, de l’éducation aux différences, du partenariat, notamment par le biais du Pedt.
Un consensus a semblé alors se dégager : l’ensemble des partenaires se définissent comme complémentaires, comme un maillon de la chaîne de la réussite éducative ; le Pedt semble être l’outil fédérateur permettant d’oeuvrer ensemble. Mais les ateliers notamment ont montré que les réalités des territoires sont multiples, avec de fortes disparités en terme de mixité, et avec des volontés politiques plus ou moins fortes.
2 décembre 2016
La matinée du 2 décembre était consacrée à une autre thématique, celle de la petite enfance, avec la présentation du rapport intitulé Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels par son auteure, Sylviane Giampino, psychanalyste et psychologue (4). Le cadre de l’étude a porté sur les 0-3 ans, âge déterminant pour le fondement de la personne. Quelques chiffres : les modes d’accueil réglementés du jeune enfant concernent près de 1,6 millions d’enfants sur les 2,3 millions âgés de moins de 3 ans. De ce travail collectif entre spécialistes et personnel de terrain de toutes disciplines ressortent quatre axes clairs, qui se déclinent en une centaine de préconisations :
- le développement du jeune enfant avant 3 ans
- les relations avec les familles
- l’organisation de l’accueil et les pratiques
- la formation des professionnels
La commission a mis en lumière douze caractéristiques spécifiques du développement du jeune enfant, dont cinq sont prioritaires :
- permettre au petit enfant de se sécuriser, de construire sa confiance de base ;
- apprendre à l’enfant à prendre soin de lui, grâce à une puériculture tournée vers l’autonomie ;
- donner au jeune enfant des clefs pour se repérer dans les relations, s’identifier, sentir la valeur de soi et la valeur de l’autre ;
- offrir à l’enfant des conditions, du temps et de l’espace pour se déployer et apprendre, en exerçant sa vitalité découvreuse et ludique ;
- inviter le petit enfant à se socialiser et entrer dans la culture, à apprivoiser le langage, des codes et des valeurs.
Le souhait de Mme Giampino est que ce rapport aide à produire au niveau national un document cadre qui fonde une identité commune aux professionnels de l’accueil de la petite enfance, aux familles et aux acteurs de la petite enfance. Au niveau local également, les pistes sont nombreuses pour les élus et les personnels du terrain, pour l’aménagement des locaux, la formation des personnels, l’encadrement des enfants, le type d'activités, etc.
S’en est suivie l’intervention de Gilles Pétreault, Inspecteur général, qui a présenté le rapport qu’il a co-piloté avec Marc Buissart sur La scolarisation des enfants de moins de trois ans : une dynamique d'accroissement des effectifs et d'amélioration de la qualité à poursuivre daté de 2014 (5). Il a rappelé que la généralisation de la scolarisation dès l’âge de trois ans date des années 90, et qu’une des priorités de la refondation de l’école a consisté à développer la scolarisation des jeunes enfants de deux à trois ans, en particulier pour des publics prioritaires. L’étude réalisée montre que les effectifs sont en augmentation, même s’il reste encore des progrès à faire, notamment en zone prioritaire : on a une moyenne de 12 % de scolarisation de la classe d’âge en 2015. La qualité éducative et pédagogique est fortement liée aux communes qui ont les compétences en matière de locaux, d’équipement et de personnel (ATSEM), et présente un grand nombre de disparités au niveau national. La spécificité de la scolarisation des enfants de deux à trois ans a demandé de repenser l’organisation des espaces scolaires, des temps de la journée mais aussi des gestes professionnels. D’après Gilles Pétreault, les parents sont globalement satisfaits des solutions proposées localement, leurs demandes sont mieux prises en compte. Autre point : le pilotage doit s’ouvrir aux partenariats et une réflexion au niveau territorial est nécessaire pour prendre en compte au mieux les besoins. Voici les recommandations principales du rapport, accompagnées de nombreuses pistes d’action :
- mieux organiser les coopérations
- effectuer des choix rationnels pour l’affectation des moyens
- faire vivre localement chaque site de scolarisation des enfants de moins de trois ans
- poursuivre l’amélioration de la qualité de l’encadrement pédagogique et de l’accompagnement de la scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Il ressort de ce rapport notamment que la collaboration entre l’éducation nationale, les communes et les parents est une réelle nécessité si on veut que la scolarisation des enfants de moins de trois ans se fasse dans de bonnes conditions.
La collaboration entre les différents acteurs est également la clé de voûte des Pedt… Parmi les autres clés de réussite identifiées durant ces journées, la formation partagée, régulièrement citée dans les différentes interventions, un volontarisme politique réel de la part des acteurs locaux mais aussi une évolution des pratiques pédagogiques.
Anne Francou, Observatoire PoLoc (décembre 2016)
Notes
(1) Auteur d’un ouvrage intitulé La mixité à l’école paru en 2015 : http://www.armand-colin.com/la-mixite-sociale-lecole-9782200275341
(2) Expérimentation qui a donné lieu à la rédaction d’un vademecum : https://fr.scribd.com/doc/297666868/Agir-pour-la-mixite-sociale-et-scolaire
(3) Rapport accessible en ligne à l’adresse : http://www.cnesco.fr/fr/mixites-sociales/
(4) Rapport accessible en ligne à l’adresse : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/164000279/
(5) Rapport accessible en ligne à l’adresse : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000586/index.shtml