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Accroître la mixité sociale à l'école : les politiques d’affectation au collège et au lycée

Compte rendu du séminaire « Politiques antidiscriminatoires » CERI – Sciences Po Paris – ARDIS (lundi 20 mars 2017) avec Julien Grenet, chargé de recherche CNRS

Consulter l'annonce du séminaire

Source : http://www.ardis-recherche.fr/fr/activites/view/148/politiques-antidiscriminatoires-ceri-sciences-po

Compte-rendu du séminaire

La mixité sociale dans les établissements secondaires est un enjeu crucial pour l’Education nationale depuis plusieurs années. En 2016, le site de l’Education nationale rappelle que sur les 7075 collèges en France, 70 collèges accueillent plus de 82% d’élèves très défavorisés tandis que 700 collèges accueillent plus de 42% d’élèves très favorisés [1]. Ces divergences territoriales ont conduit les praticiens, aussi bien au niveau national que local, à proposer des dispositifs visant à renforcer la mixité sociale dans les établissements afin d’accroître la réussite de tous.

Dès 2007, l’assouplissement de la carte scolaire avait été présenté comme un outil pour renforcer la mixité sociale des établissements du secondaire. Présentée comme une réforme offrant plus de liberté aux familles et permettant la mixité sociale à travers l’octroi de dérogations reposant sur des critères hiérarchisés (handicap, boursier, parcours scolaire et rapprochement de fratrie), cette réforme n’a pas eu les résultats escomptés. Plusieurs études [2] ont montré qu’à l’échelle nationale, les indices de ségrégation avaient peu évolué tandis que les établissements en REP faisaient l’objet d’un évitement accru. En 2013, la loi de refondation de l’école affirme à nouveau ce principe de mixité sociale tandis qu’ à la fin de l’année 2015, la ministre de l’Education nationale rappelle que la mixité sociale ne pourra être atteinte que par l’intermédiaire de projets définis et mis en œuvre localement. En 2017, ce sont 82 projets qui ont été engagés au sein de 84 communes françaises dans les établissements secondaires.

C’est à ces dispositifs que Julien Grenet, économiste, chargé de recherche au CNRS, s’est intéressé en étudiant non seulement leurs principes mais également les effets qu’ils produisent concrètement dans les établissements du secondaire. Lors du séminaire de l’ARDIS [3], le lundi 20 mars, Julien Grenet s’est notamment arrêté sur l’enquête qu’il a réalisée concernant la procédure Affelnet, procédure de vœux des élèves et de leurs familles pour l’entrée au lycée. Sans prétendre à l’exhaustivité de la présentation faite lors du séminaire, ce compte rendu en présente les éléments les plus saillants.

La procédure Affelnet repose sur le principe suivant : face à l’échec de l’assouplissement scolaire, il ne s’agit plus d’avoir un secteur correspondant à un établissement mais de définir des secteurs au sein desquels plusieurs établissements sont rattachés. Ce système permet d’élargir le bassin de recrutement des futurs lycéens et donc de permettre a priori une diversification de la composition sociale. En 2008, la procédure Affelnet, testée au départ pour la voie professionnelle, est adoptée par l’ensemble des académies. Si la loi définit les critères qui permettent de départager les candidats (critère social, critère du handicap, critère de la proximité géographique, critère du parcours scolaire), chaque académie peut moduler l’importance qu’elle confère à chacun des quatre critères dans son barème d’attribution.

Julien Grenet s’interroge donc sur l’impact de cette procédure sur la mixité sociale dans trois académies, celles de Paris, Versailles et Créteil. Disons-le d’emblée, la procédure Affelnet n’est donc pas simplement un outil de gestion puisque chaque académie décide de l’importance conférée à chaque critère. En ce sens, la procédure Affelnet est un instrument d’action publique et de gouvernement de la mixité sociale [4].

Quelle procédure dans les académies de Créteil, Versailles et Paris ?

Pour les académies de Créteil et de Versailles, la géographie des secteurs limite de fait le nombre de choix possible pour l’élève. Chaque secteur comporte quatre lycées et l’élève choisit entre 1 et 4 lycées par secteur. Dans le barème d’attribution des vœux, la proximité géographique du domicile de l’élève avec le lycée est fortement valorisée et les boursiers se voient accorder un bonus en cas de demande de dérogation.

À Paris, le système adopté est distinct. Paris a été divisé en quatre districts (Nord-Est ; Sud-Est ; Nord-Ouest ; Sud-Ouest) au sein desquels on trouve entre 11 et 17 lycées. Les élèves formulent huit vœux. La proximité géographique n’a pas été retenue comme critère, seul le fait d’habiter dans le district a été retenu. Ensuite, des points sont accordés en fonction des notes obtenues en 3ème et un bonus est accordé aux boursiers, qui représentent 20% des élèves parisiens. Ce bonus conduit in fine les boursiers à obtenir leur premier choix.

Quels effets sur la segmentation sociale des lycées ?

L’étude de Julien Grenet dévoile que la ségrégation sociale dans les lycées généraux et techniques est moindre à Paris que dans les académies de Créteil et de Versailles. Le bonus mis en place pour les boursiers a eu des effets directs sur la ségrégation sociale, même si le district de Paris Nord-Est reste celui ayant la plus forte problématique de ségrégation sociale. À l’inverse, la ségrégation scolaire est plus élevée dans l’académie de Paris que dans les deux autres académies. L’importance conférée aux notes dans la procédure Affelnet pour Paris conduit à limiter la mixité scolaire et à renforcer la hiérarchisation entre les lycées.

Ainsi, la segmentation sociale et scolaire dans les lycées est le résultat de la préférence des familles et de la procédure d’affectation. En effet, une enquête par questionnaire en 2013 a révélé que les vœux formulés par les élèves se font principalement en fonction du niveau de l’élève. À niveau égal de résultats, il n’y a pas de différence significative selon les catégories sociales. Les phénomènes d’auto censure jouent principalement en amont à travers l’orientation scolaire.

En revanche, les critères de priorité au sein de la procédure Affelnet jouent un rôle déterminant sur la ségrégation sociale et scolaire. Ainsi, les classes de seconde à recrutement particulier (classes de seconde danse, musique) qui recrutent avant la procédure expliquent plus de 25% de la ségrégation sociale dans l’académie de Paris et 10 % dans les académies de Créteil et de Versailles. La définition des secteurs de recrutement pèse également. Dans l’académie de Versailles et de Créteil, la taille restreinte du périmètre géographique explique 72% de la ségrégation sociale contre 24 % au sein de l’académie de Paris.

Finalement, pour l’économiste Julien Grenet, pour favoriser la mixité sociale et scolaire, trois leviers sont déterminants : la taille du territoire définie pour le secteur, l’importance conférée aux résultats scolaires et la prise en compte de critères sociaux.

Aujourd’hui, la procédure Affelnet reste opaque pour les familles et ne parvient pas à produire cette mixité sociale et scolaire, voire présente des « ratés ». En effet, en 2016, un lycée a accueilli plus de 80% d’élèves boursiers à la rentrée, ces derniers obtenant de fait toujours leur premier vœu sur l’académie de Paris. Les expériences menées à l’étranger ne donnent pas des priorités inconditionnelles à certains critères mais introduisent des quotas maximums. C’est cette voie qui pourrait être adoptée dans les années à venir, tout comme un redécoupage des districts notamment au sein de Paris pour rééquilibrer le district du Nord-Est de la ville.

Enjeux et perspectives sur la mixité à l’école

Comme Julien Grenet et Agnès Van Zanten, discutante du séminaire, l’ont rappelé, la mixité sociale et scolaire ne peut et ne doit pas être un objectif en soi. Ce n’est qu’un moyen mis au service de la réussite de tous les élèves. Ces dispositifs d’accroissement de la mixité sociale et scolaire doivent s’accompagner d’un travail de réflexion sur l’orientation, sur l’information donnée à l’ensemble des familles et surtout d’un travail sur les pratiques pédagogiques et sur la différenciation des moyens accordés aux différents établissements. Par ailleurs, la procédure Affelnet ne doit pas occulter qu’un travail peut aussi se faire sur la carte scolaire, outil qui permet aussi de réguler les populations, et que cette procédure ne fonctionne que quand des territoires socialement distincts sont proches.

Enfin, ajoutons que parmi les discussions qui ont suivi l’intervention plusieurs interrogations demeurent et pourront faire l’objet de nouveaux travaux de recherche :

  • Concernant les lycées parisiens, l’auditoire s’est interrogé sur la portée dans les lycées de cette procédure : Quelle distribution concrète ensuite des élèves dans les lycées, en particulier des élèves boursiers ? Quelles sont les conditions de réussite des boursiers ? Quelles pratiques professionnelles des enseignants face aux nouveaux élèves observe-t-on ?
  • De quelle manière cette réflexion sur la mixité sociale et scolaire peut-elle se poursuivre au niveau élémentaire ? Quelles sont les données mobilisables ?
  • Enfin, comment prendre en compte la mixité ethnique des établissements, dans un contexte français toujours marqué par l’existence de discriminations raciales à l’école et qui font l’objet d’une action (très) timide des pouvoirs publics [5] ?


Anouk Flamant, Observatoire PoLoc (mars 2017)

Notes 

[1] Article « Renforcer la mixité sociale dans les collèges », Dossier de presse, 9 novembre 2015, disponible à l'adresse : http://www.education.gouv.fr/cid95191/renforcer-mixite-sociale-dans-les-colleges.html#État_des%20lieux%20de%20la%20mixité%20sociale%20dans%20les%20collèges
[2] Voir par exemple « Les effets de la mise en œuvre de l’assouplissement de la carte scolaire » in Education & Formation  n°83, juin 2013, disponible à l'adresse : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/63/3/DEPP_EetF_2013_83_Effets_assouplissement_carte_scolaire_254633.pdf
[3] ARDIS = Alliance de Recherche sur les Discriminations. cf. site de l'Ardis : http://www.ardis-recherche.fr/fr
[4] Comme le rappelle Julien Grenet, il paraît nécessaire de souligner d’ores et déjà que l’orientation proposée en fin de troisième (voie générale ou voie technique) est un facteur central de la ségrégation sociale au lycée, n’entrant pas dans le champ d’intervention de la procédure Affelnet.
[5]
 Voir sur ce point par exemple : Fabrice Dhume. « Former sur la discrimination à l’école : l’enjeu d’un travail sur et avec les processus de dénégation » in Sanchez-Mazas M., Changkakoti N., Broyon M.-A. Education à la diversité. Décalages, impensés, avancées. Paris : L’Harmattan, 2015, p.27-45, disponible à l'adresse : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01421661/document

Pour aller plus loin


Fack, Gabrielle, Grenet, Julien. « Sectorisation des collèges et prix des logements à Paris » in Actes de la recherche en sciences sociales n°180, 5/2009, p. 44-62.
Fack, Gabrielle, Grenet, Julien. « Peut-on accroître la mixité sociale à l'école ? » in Regards croisés sur l'économie n°12, 2/2012, p. 165-183.

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