Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée
L’ouvrage intitulé Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée fait suite à une enquête collective menée dans le cadre de l’ANR VIOLECOGENRE réunissant des chercheurs en psychologie sociale, en philosophie, en sociologie et en études cinématographiques (cf. Pour aller plus loin). En s’interrogeant au départ sur les violences au sein des collèges et des lycées, cette recherche vise à questionner les ressorts de la construction identitaire des filles et des garçons dans le milieu scolaire ainsi que le rôle joué par les adultes dans une institution « qui transmet et consolide les modèles sexistes de comportement » (p.10). Les chercheurs s’appuient sur une enquête de terrain, avec trente-neuf entretiens de chefs d’établissement et une année d’observation ethnographiques dans cinq établissements distincts. Ces établissements ont été choisi selon des critères de diversité : de niveau (deux collèges, trois lycées), de statut (trois publics, deux privés), de nature (deux lycées général & technologique, un lycée professionnel) et d'environnement socio-géographique (deux établissements en quartier populaire, trois en centre-ville dont deux « mixtes » et un dans un quartier plutôt intermédiaire).
Nous présenterons en premier lieu les hypothèses qui ont prévalu à cette recherche avant de nous attarder sur les principaux enseignements de l’ouvrage et de présenter deux chapitres qui ont retenu notre attention.
D'emblée, les auteurs de la recherche font l’hypothèse que les violences genrées entre élèves s’inscrivent en relation avec le sexisme que l’institution scolaire incarne et transmet elle-même. Ainsi, les garçons et les filles occupent des positions dissymétriques entre eux et au sein de chaque groupe et qui s’incarnent dans les rapports de violence. Cet ordre social s’institue notamment en raison des pratiques concrètes des enseignants et du personnel éducatif, qui construisent ce sexisme en dépit de leurs intentions (dans les relations quotidiennes, leurs paroles, leurs attitudes, les injonctions à "bien" se vêtir). La perspective adoptée dans cet ouvrage est donc de rendre compte de l’école en soulignant qu’elle reflète les relations sociales qui affectent l’ensemble du corps social, et au sein duquel les inégalités des sexes sont centrales, mais qu’elle produit également des normes propres en son sein.
L’enquête ainsi réalisée permet aux chercheurs de montrer que les conduites violentes dans les établissements scolaires ont, la plupart du temps, un caractère sexuel affirmé (allant de l’insulte au viol) et surtout que ces violences sont des instruments de contrôle de la sexualité des filles par les garçons et par les filles elles-mêmes. Les relations entre les filles et les garçons sont ainsi marquées par la question de la domination au sein de chaque groupe et des attitudes à adopter pour y occuper une place de choix. Quant aux adultes, les enquêteurs notent la prégnance de l’idéologie de « complémentarité des sexes » et le soutien à un système au sein duquel les garçons sont modérément dominants avec des filles qui les « complètent » afin de garantir la paix sociale. Si les acteurs de la communauté éducative perçoivent différemment la sexualité selon les milieux sociaux dans lesquels elle s’exprime (violente dans les milieux populaires, acceptable dans les milieux aisés), ils partagent l’idée selon laquelle ce sont les filles qui « constituent un problème dans la mesure où ce sont elles qui introduiraient la sexualité dans les établissements » (p.232). Finalement, comme le soulignent les auteurs, cet ouvrage donne à voir les relations qui s’établissent entre adolescents, avec le personnel éducatif et les enseignants dans l’école et de la construction et de la place des modèles genrés et érotisés dans leur quotidien.
Dans cet ouvrage, deux chapitres ont particulièrement retenu notre attention parce qu'ils posent la question de la construction de l'inégalité des sexes dans et par l'institution. Il s’agit du chapitre 2 intitulé « Violence de genre et contrôle social : l’agression sexuelle au centre du système » (Patricia Mercader, Annie Léchenet, Jean-Pierre Durif-Varembont) et du chapitre 6 « L’institution scolaire, garant paradoxal de l’inégalité des sexes » (Marie-Carmen Garcia, Natacha Carbonne, Rebecca Weber).
Le chapitre 2 s’attache à revenir sur les violences scolaires, qui affectent différemment les établissements étudiés (violences quotidiennes dans deux collèges et un lycée professionnel, violences rares dans le lycée privé de centre-ville, quasi absentes dans le lycée réputé d’élites). Comme nous l’avons déjà précisé, les auteurs insistent sur le fait que les violences comportent quasi systématiquement une dimension sexuelle. Tout d’abord, les agressions sexuelles, principalement présentes dans les discours et de façon plus rares physiquement (même si des cas de viols sont recensés), constituent des pratiques par l’intermédiaire desquelles le contrôle des garçons se fait sur les filles. Ensuite, l’ouvrage apporte un éclairage particulièrement intéressant sur la mise à l’écart, extrêmement violent, de l’homosexualité dans l’école. L’homophobie est particulièrement prégnante dans les établissements scolaires. Les élèves, en particulier les garçons, traitent de l’homosexualité uniquement en s’attachant à prouver qu’ils ne le sont pas. Quant aux adultes, ils soulignent que l’homosexualité, si elle existe dans d’autres espaces sociaux, n’est jamais exprimée dans l’école. Elle fait donc l’objet d’une « élimination symbolique » (p. 64) de cet univers. Enfin, les adultes minimisent fortement les violences de genre, voire les nient. C’est ainsi qu’un garçon qui met une main aux fesses d’une camarade est présenté comme ne se rendant pas compte de son acte, seule la fille l’interprêtant comme une action sexuelle (p.72). L’école s’emploie à être un lieu sanctuaire face à la sexualité qui surgirait à cause de certaines filles, et face à laquelle les adultes répondent en minimisant les violences sexuelles, parfois en les ignorant, ou en les renvoyant à la sphère privée des adolescents.
Le chapitre 6 complète cette première vision en questionnant la façon dont l’institution scolaire participe à garantir, de façon paradoxale, l’inégalité des sexes. Cela se traduit notamment par un encadrement assez fin de l’expression des féminités et des masculinités au sein des institutions scolaires. Si les chefs d’établissement partagent l’idée selon laquelle il est difficile pour les garçons et les filles de se mélanger, ce sont les filles qui doivent avoir des comportements encadrés et non les garçons. Certaines expressions de la féminité sont condamnées par les adules, tel le port du string qui devient un enjeu d’éducation au nom du « bon goût », surtout dans les quartiers populaires, ou telle tenue jugée « indécente » et « dangereuse » pour les filles face à une sexualité masculine qui serait incontrôlable. Finalement, si deux figures féminines sont stigmatisées (la fille « séductrice » et la fille « masculine »), deux autres figures sont jugées positives par les adultes : la « jeune fille amoureuse mais décente » et la fille « complément des garçons ». La « complémentarité des sexes » est affirmée comme un équilibre nécessaire dans le groupe et la présence de ces deux figures féminines est présentée comme un gage de « paix sociale » dans les établissements. Les inégalités de fait persistent donc bien au sein de l’institution scolaire, voire sont au cœur de certaines interactions ou certains apprentissages tels que les cours d’EPS. Les observations faites dans ces cours montrent comment ils sont systématiquement des lieux d’assignation des « filles à des espaces subalternes et périphériques » (p. 155) au sein desquels les garçons dominent. De surcroît, la domination masculine s’édifie et se construit dans ces cours.
Finalement, s’il existe bien des manières différentes de vivre sa féminité et sa masculinité, l’enquête montre comment les attendus au sein de l’institution scolaire envers les filles et les garçons divergent et participent à reproduire l’inégalité des sexes.
Cet ouvrage offre une lecture intéressante pour celles et ceux qui portent une attention aux questions d’égalité filles / garçons et à l’expression des violences dans les établissements scolaires du secondaire. Parmi les principaux enseignements de cet ouvrage, nous avons souhaité insister sur le fait que les adultes, même sans en avoir l’intention ni même le savoir, participent par et dans l’institution scolaire à reproduire la domination masculine et des interactions plus ou moins violentes (plus fortes dans les milieux populaires, plus euphémisées dans les milieux aisés) entre les groupes de garçons et de filles.
Cette recherche est aussi une lecture interdisciplinaire des relations filles-garçons, ce qui permet de complexifier la compréhension des interactions entre filles et garçons en la replaçant dans un contexte social et psychologique pluriel. Ces différents regards permettent de dépasser le discours qui explique les violences de genre uniquement par l’ « adolescence » ou l’agressivité quasi « naturelle » des milieux populaires. Néanmoins, cette interdisciplinarité est parfois déroutante pour le lecteur, notamment le sociologue ou politiste découvrant la psychanalyse et des modes de schèmes et de réflexion individuelle au sein desquels l’environnement social s’efface pour partie.
Enfin, cette enquête est un appel pour promouvoir au sein de l’école un espace d’éducation à la citoyenneté en prenant la mixité comme un levier de réflexion sur les relations sociales. L’institution scolaire pourrait alors être un espace qui serait certes conflictuel mais non violent. Les auteurs appellent en conclusion à la construction d’individus qui passe par la recherche de liberté et non par la domination créatrice d’un climat de violence.
Pour conclure, cet ouvrage est une pierre à l’édifice qui vise à prendre au sérieux la question de l’égalité entre les sexes au sein de l’école, et ce aussi bien au niveau élémentaire que secondaire. La question de la mixité est un outil essentiel pour construire des rapports sociaux moins fondés sur la compétition et la domination que sur la construction d’individus libres et égaux. Cet enjeu doit trouver toute sa place auprès du personnel éducatif aussi bien dans l’exercice quotidien de sa profession que dans sa formation initiale et continue.
Compte-rendu réalisé par Anouk Flamant, Observatoire PoLoc (janvier 2017)
Sommaire de l'ouvrage
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Références de l'ouvrage
Mercader, P. et al. Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée. Toulouse : éditions érès, 2016. 272 p. (La vie devant eux).
Pour aller plus loin
Le rapport complet ainsi que la présentation de toutes les personnes impliquées dans la recherche sont accessibles en ligne :
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Source : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00986142