La Chaire Unesco-ENS Lyon questionne la vidéoformation
La venue de Valérie Lussi Borer en tant que chercheure invitée à l’IFÉ dans le cadre de la chaire Unesco « Former les enseignants au XXIe siècle » a été l’occasion de développer un projet de recherche et de formation au sein d’un nouveau LéA, le collège Garcia Lorca (93).
Le travail de Valérie Lussi Borer et Luc Ria, avec la collaboration de la référente LéA et des enseignants porteurs du projet, a permis d’étudier la création de conditions favorables à l'analyse du travail enseignant dans le cadre d’une formation continue au sein même de l’établissement.
Quelques éléments de contexte et points forts du projet qui se poursuit actuellement sont évoqués dans cet article.
L’établissement : un nouvel espace de formation ?
Les organismes internationaux et européens ainsi que les chercheurs, les acteurs de l’éducation et les politiques affirment le rôle potentiel de l’établissement scolaire comme un nouvel espace de formation et de professionnalisation des enseignants.
En effet, au même titre que d’autres espaces collectifs où s’accomplit une activité professionnelle (entreprise, hôpital, association, etc.), l’établissement scolaire peut devenir une « organisation apprenante » selon certaines conditions qu’il est nécessaire de définir.
Dans cette perspective, un laboratoire d’analyse de l’activité enseignante a été créé dans le collège Garcia Lorca pour expéri-menter de nouvelles modalités de formation continue des ensei-gnants dans leur propre établissement. L’enjeu est d’analyser leur activité en classe à l’aide d’outils issus des sciences du travail pour favoriser le développement progressif d’une culture professionnelle d’établissement.
Plus précisément, l’objectif de cette expérimentation est triple :
- accompagner les enseignants débutants (ceux qui ont moins de trois ans d’expérience) dans leur projet d’amélioration de leurs interventions devant des publics hétérogènes ;
- former des enseignants (formateurs de terrain) à l’analyse de l’activité professionnelle de leurs collègues plus ou moins expérimentés ;
- favoriser, au sein du collectif enseignant, la recension et l’élaboration de modalités d’intervention avec des valeurs éducatives, des critères d’exigence partagés.
Analyse du travail réel des enseignants au service des apprentissages des élèves
Le dispositif de formation s’appuie principalement sur le développement d’enquêtes collaboratives consistant à : a) décrire la situation de travail à partir d’extraits vidéo de classe, b) mettre en relation les faits observables avec les intentions concrètes des enseignants, c) évaluer la pertinence de l’activité (et non de la personne) selon les critères co-construits et d) proposer des pistes de transformation réalistes, viables pour l’activité observée.
En mobilisant ces outils d’analyse du travail, notre dispositif de formation a permis aux enseignants volontaires (débutants ou non) :
- d’être filmés dans les classes de leur choix et d’expliciter leurs expériences individuellement à un chercheur-formateur puis devant un collectif d’enseignants ;
- de comparer les effets sur les élèves (via la vidéo) d’activités professionnelles proches des leurs ou au contraire nouvelles à leurs yeux ;
- d’identifier les organisateurs d’activités efficaces pour pouvoir se les approprier (même si cela requiert dans certains cas de longs temps de maturation) ;
- de construire un réservoir partagé « d’activités robustes », c’est-à-dire répondant à des exigences académiques et à des principes d’économie de soi, sans pour autant réduire sa propre liberté pédagogique ;
- de définir de manière collective des thèmes professionnels prioritaires (compte tenu de leurs propres préoccupations ou de la politique de l’établissement) dans une même discipline d’enseignement ou selon une approche plus transversale ;
- de définir des projets de co-observation ou de co-intervention entre pairs ou avec un enseignant plus chevronné sur l’un des thèmes professionnels retenus.
Vers de nouvelles collaborations entre enseignants, formateurs de terrain et formateurs universitaires
Le laboratoire en cours d’expérimentation peut être un lieu d’incubation et de développement de nouvelles expertises individuelles au profit des projets éducatifs collectifs de l’établissement et donc, in fine, au profit des apprentissages des élèves. Cependant, pour qu’une telle culture par l’action et pour l’action puisse se développer, plusieurs conditions sont à réunir :
- l’impulsion déterminante de la part de l’équipe de pilotage de l’établissement pour encourager ce type de formation professionnelle, proposer des espaces au fil de l’eau, des temps d’échanges formalisés en mobilisant les compétences et les ressources audiovisuelles locales ;
- la construction d’un cadre éthique garantissant aux enseignants d’analyser leurs activités dans des espaces collaboratifs protégés et sécurisants (non évaluatifs) ;
- la proposition de formats progressifs d’analyse des activités : de l’usage de traces d’activité peu « intrusives » (écrits ou photos) à des traces d’activité plus exposantes (vidéo), de sessions de formation individuelles à d’autres collectives ;
- la collaboration articulée entre : des formateurs de terrain (professeurs de l’établissement) formés aux outils d’analyse du travail (méthodes, cadre éthique, scénarios de formation) pour accompagner leurs collègues ; des professeurs formateurs académiques et/ou formateurs des ESPE (en remplacement des chercheurs) formés pour l’accompagnement dans la durée – avec une prise de distance et une neutralité plus grandes – des dispositifs de formation (de plusieurs établissements). Ceux-ci pourraient alimenter le laboratoire en résultats de recherche sur le travail enseignant, sur les méthodologies propres aux outils d’analyse du travail selon des approches transversales ou plus en lien avec certaines disciplines d’enseignement.
Valérie Lussi Borer et Luc Ria
Contacts : valerie.lussi@unige.ch, CRAFT, FASP & Institut universitaire de formation des enseignants, Université de Genève ;
luc.ria@ens-lyon.fr, Chaire Unesco « Former les enseignants au XXIe siècle », IFÉ-ENS de Lyon.