Rencontres nationales des villes éducatrices
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Lille accueillait cette année les rencontres nationales du Réseau Français des Villes Educatrices, qui avaient pour thème « La ville à hauteur d'enfants ». L'occasion pour l'ensemble des acteurs présents - de nombreux élus en charge de l'action éducative dans les mairies mais aussi des enseignants et des cadres de l'Éducation nationale, des représentants de l'Éducation populaire, des représentants de parents d'élèves et des animateurs - de se questionner sur la place accordée à l'enfant dans la ville. Dans quelle mesure les espaces urbains sont-ils adaptés aux enfants ? Comment les enfants eux-mêmes appréhendent-ils les espaces qui leur sont dévolus ? Dans quelle mesure les politiques publiques intègrent-elles le point de vue des enfants dans leurs décisions ? Quelle ville veut-on pour nos enfants ? Autant de questions qui ont servi de fil rouge à ces rencontres (1).
Dans sa conférence d'ouverture, le géographe Michel Lussault (ENS de Lyon) a commencé par rappeler l'extrême précarité dans laquelle vivent de nombreux enfants dans le monde et la vulnérabilité de l'enfant dans une « société impitoyable », citant les chiffres de l’Unicef, le rapport Grande pauvreté et réussite scolaire de Jean-Paul Delahaye et l’action d’ATD-Quart monde. Dans nos sociétés occidentales en particulier, les enfants évoluent dans un monde de plus en plus contrôlé, pétri de normes (normes affectives, corporelles, psychocognitives, etc.).Ce que Michel Lussault appelle le « géopouvoir » rassemble « toutes les instances, les entités qui encadrent la vie spatiale » (en référence au « biopouvoir » théorisé par Michel Foucault). Ce « bombardement normatif » laisse peu de place aux enfants pour inventer des manières d’être nouvelles dans la ville, ce qui n’est pas sans répercussions sur les aménagements urbains, en particulier sur les espaces scolaires. Michel Lussault dénonce le fait que dans les villes les « espaces d’aventure » destinés aux enfants n’existent plus. A cela s’ajoute la spéculation immobilière « nourrie par les politiques publiques » depuis plus de quarante ans, faisant reculer l’intérêt public. Les activités enfantines sont de plus en plus marchandisées (promotion des cours particuliers) et la technique envahit nos vies (ce que Michel Lussault appelle la « technologisation des rapports sociaux »). Selon le géographe, il est urgent d’élaborer une « stratégie de rupture » pour repenser la ville du point de vue de l’enfant et non plus du point de vue des normes urbanistiques. Il propose de partir de la notion d’expérience (qui est spatiale, biographique, sociale et temporelle) des enfants. « Les enfants nous montrent une civilité de contact » déclare Michel Lussault, en rupture avec l’anonymat prévalant dans les villes. Cela implique de changer son regard d’adulte sur les enfants. Michel Lussault a dégagé pour finir quatre grandes pistes de réflexion :
- réfléchir à ce que les espaces scolaires soient réellement adaptés aux enfants (travail en commun, continuum scolaire-extrascolaire, ouverture de l’école sur l’extérieur)
- parvenir à une véritable coéducation car on apprend partout et tout le temps
- repenser la programmation scolaire qui n’accorde pas de place à l’expérience
- former et accompagner l'ensemble des acteurs éducatifs.
La table ronde portait sur la place accordée aux enfants dans la ville. Elle réunissait autour de Natalie Malabre (IA-IPR dans l'académie de Lille et historienne) Thierry Paquot (professeur émérite à l’Institut d’urbanisme de Paris-Upec), Clément Rivière (sociologue à l’Université de Lille3) et Francine Fort (directrice de l'association Arc en rêve, centre d’architecture contemporaine bordelais). Thierry Paquot affirme que chaque individu a un rapport existentiel au lieu qui l'entoure (c’est un « topophile ») et que l’environnement n’est pas extérieur à l’individu. L'expérimentation des quatre éléments (la « dialectique des choses ») est fondamentale pour l'enfant. Il rappelle aussi l'importance du jeu dans la construction de l'enfant. Selon Thierry Paquot, les villes ont un grand défi à relever pour devenir de véritables « terrains d'aventure » pour les enfants, ce dont elles sont très éloignées actuellement. La ville serait pour lui plutôt un « terrain de guerre », très densément bâtie, « soumise au marketing et extrêmement normée ». Les pédagogies nouvelles lui apparaissent comme l’alternative nécessaire pour arriver à se situer à hauteur d’enfant.
Francine Fort a décrit l'engagement d’Arc en rêve dans une véritable éducation par l'architecture, en favorisant la rencontre entre les jeunes et les oeuvres. Elle a illustré ses propos par différentes actions menées avec les jeunes bordelais en lien avec les professionnels de l’architecture et de l’urbanisme, les politiques et les habitants : expositions, expérimentations, dispositifs comme Le gonflable, Legopolitain. Selon Francine Fort, l'éducation artistique et culturelle passe avant tout par l'expérience esthétique qui permet de comprendre le monde.
Clément Rivière a présenté trois résultats d'une étude qu'il a menée sur deux territoires, l'un à Paris (quartier Villette – Belleville) l'autre à Milan (quartier Monza), dans le cadre d’une thèse consacrée à l’étude de l'encadrement parental des pratiques urbaines des enfants, c’est-à-dire « l’ensemble des pratiques parentales qui visent à encadrer les déplacements et les activités réalisées par les enfants dans les espaces publics urbains ainsi que les représentations qui sous-tendent ces pratiques parentales ». Il décrit plutôt une ville « à hauteur de parents », s’intéressant à ce que disent les parents à leurs enfants, dans quelle mesure ils les accompagnent / contrôlent. Pour nourrir la réflexion sur l’action publique, Clément Rivière a souligné tout d’abord la nécessité de penser l'articulation des espaces publics et des espaces privés (le logement), élément sous-évalué selon lui dans la réflexion sur l’aménagement des espaces communs. La « culture de la chambre » et l’investissement des espaces publics sont socialement différenciés, variant en fonction de la taille, de l’état général du logement, de la promiscuité, etc. Deuxième résultat de son étude : le rôle de l'école dans la différenciation sociale des expériences enfantines de la ville. Par exemple le passage en classe de 6è a un effet sur la mobilité des élèves ; les choix de scolarisation opérés par les familles ont également un impact sur les déplacements quotidiens, ancrant davantage les enfants de familles populaires dans leur quartier que les familles plus aisées. Enfin il a invité à penser « la dimension urbaine de la fabrique du genre», s’appuyant sur les représentations genrées de la ville où le corps des filles est un enjeu qui conditionne leur rapport à la ville. Ce travail de recherche permet de nourrir la réflexion des décideurs politiques et des concepteurs d’espaces urbains.
Les ateliers de l'après-midi ont permis d’échanger plus directement avec des acteurs de terrain. Un atelier a questionné l'apprentissage de la démocratie dans l'espace scolaire par la participation, à travers un conseil d'élèves d'école primaire (école Viala-Voltaire de Lille), le projet Citizen porté par un référent de site périscolaire (école Descartes-Montesquieu de Lille) et un atelier philo organisé en maternelle (école Pauline Kergomard de Lille). Ces dispositifs avaient en commun plusieurs objectifs :
- responsabiliser les enfants en favorisant l’engagement et la prise de décision
- valoriser les initiatives et permettre à l’enfant de s’exprimer
- apprendre les règles du vivre ensemble et les fondements de la démocratie
- améliorer le climat scolaire par la régulation des conflits.
Cet atelier suscite un certain nombre de questions : à partir de quel âge un enfant est-il jugé apte à participer à la vie de son école, à donner son avis ? Jusqu'où l'institution scolaire est-elle prête à aller dans la participation des élèves à la vie de leur école ? Comment créer les conditions d’une action conjointe réelle du scolaire et du périscolaire ? Quelle place pour les parents dans la coéducation ?
Les autres ateliers abordaient les questions d'aménagement des espaces en fonction des usages des enfants, et la question de la mobilité urbaine des enfants, liée à celle de l’autonomie.
A l'issue de ces journées on mesure tout le chemin qui reste à parcourir pour que la ville soit véritablement « à hauteur d'enfants ». Parmi les nombreuses pistes de réflexion, il apparaît nécessaire pour les politiques publiques de : privilégier une approche transversale de l’enfance (éducation, urbanisme, santé, etc.) ; prendre en compte les travaux de sociologie de l’enfance pour nourrir les réflexions des politiques ; favoriser la participation des enfants aux prises de décision les concernant ; repenser le développement exponentiel des villes. Les changements sont-ils à attendre des usagers, par un changement de leurs comportements, ou bien d’une action politique ? Probablement des deux. Un certain nombre d’initiatives à l'échelon local, notamment à Lille mais aussi sur de nombreux autres territoires, montrent la prise de conscience de certains acteurs qu'il faut davantage accorder le regard de l’adulte sur celui de l'enfant pour assurer les conditions de son épanouissement. Ne rejoint-on pas là le discours des pédagogies dites « nouvelles » ?
Anne Francou, Observatoire PoLoc (décembre 2017)
Note (1) Cette thématique n'est pas sans rappeler le programme « Place de l’enfant » porté par les Francas dans les années 90.