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10è Rencontres nationales de l'éducation de Rennes

22-24 mars 2016

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Rennes, France

10èmes RNE 2016 visuel

Education partagée pour les territoires : une nouvelle ambition pour tous les territoires. Les Rencontres nationales de l’éducation de Rennes organisées par la Ligue de l’enseignement (qui fête cette année ses 150 ans) ont mobilisé les acteurs du monde éducatif au sens large (membres de l’éducation nationale, éducateurs, collectivités territoriales, familles, associations, etc.) autour des questions des contours, des contenus, des finalités de l’éducation partagée au 21è siècle.

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22 mars 2016

10èmes RNE 2016_01La conférence introductive de l’historien Patrick Weil a interrogé le « sens de la République », dans un contexte marqué par les violences terroristes. Qu’est-ce qui fait l’unité des citoyens s'interroge l'historien ? Les quatre piliers que sont l’égalité devant la loi, la mémoire de la Révolution, la langue et la culture, et la laïcité. Pas de projet d’éducation réussi sans histoire commune partagée, comme l’a montré le cas de la guerre d’Algérie : trop peu débattue collectivement, cette période historique n’a pas permis aux immigrés algériens de trouver leur place ni dans l’histoire de France ni dans la société. Or, immigration et laïcité sont au cœur de la cohésion sociale, selon Patrick Weil.

23 mars 2016

La matinée du 23 mars a marqué l’ouverture officielle des RNE, en premier lieu par l’adjointe au maire de Rennes en charge de l’éducation, Lénaïc Briéro. Après avoir précisé que la ville de Rennes consacre un budget important à l’éducation (plus de 50 millions/euros), elle affirme que lutter contre les inégalités sociales constitue un véritable enjeu démocratique, et que l’éducation est au cœur de cet enjeu. Elle cite quelques dispositifs mis en place par la ville tels que les « classes de ville laïcité – citoyenneté ». Autre information communiquée : la ville de Rennes est en train de réactualiser son PEL autour de six axes : la lutte contre les discriminations – le vivre ensemble – la parentalité – le numérique – l’ouverture artistique et culturelle – la continuité éducative. 

Conférence d’Edgar Morin : complexite et mutations du monde : quelles finalités pour l'éducation partagée ?

Le sociologue et philosophe Edgar Morin a interrogé les contenus et les finalités de l’éducation, dans un monde changeant et complexe. S’interrogeant tout d’abord sur ce que signifie vivre - à distinguer de survivre -, sur ce qu’est le réel, il a démontré que la compréhension est essentielle dans la transmission des connaissances. Enseigner les connaissances n’est pas suffisant, l’enseignant doit aussi s’interroger sur la construction même de ces connaissances. L’enseignant doit enseigner les pièges de la connaissance, avec les risques d’erreurs, de vision réductrice, d’incertitudes qu’elle induit : risques, pourrions-nous ajouter qui sont justement des éléments constitutifs des apprentissages et non forcément des « bruits » à réduire. Il s’agit avant tout de comprendre le monde qui nous entoure, afin de mieux se comprendre et mieux comprendre autrui. Selon le philosophe, cela passe à l’école par une nécessaire pluridisciplinarité, par le développement de l’esprit critique, la prise en compte du multiculturalisme, l’enseignement des droits et des devoirs du citoyen. Enfin, Edgar Morin constate la fragilité de la démocratie, aux prises avec les tensions entre partis politiques, la non prise en compte des minorités. A défaut de mieux, on doit tendre vers une démocratie de type participatif, ce qui nécessite a minima des réformes, voire… une révolution !
Les huit ateliers qui ont suivi ont permis de rapprocher les différents acteurs de l’éducation sur des temps d’échanges permettant d’aborder au plus près les intérêts de chacun.

Première table-ronde : « des Parcours pour connaître, comprendre et agir »


10èmes RNE 2016_02Denis Paget, membre du Conseil supérieur des programmes, et Françoise Pétreault, sous-directrice de la Dgesco, ont voulu montrer que l’école change, notamment à travers les nouveaux programmes issus du socle commun de connaissance, de compétence et de culture, et les parcours éducatifs (artistique et culturel, Avenir, de santé, citoyen) récemment déployés. Selon Françoise Pétreault, l’école doit modifier ses approches pédagogiques en sollicitant davantage la participation des élèves, par exemple par la prise en compte de l’extrascolaire. Par ailleurs, l’école s’inscrit dans un territoire, le partenariat avec les associations locales et les familles est devenu nécessaire. Ce à quoi acquiesce Jean-Luc Cazaillon, directeur général des Ceméa, qui réagit aux propos de l’institution Education nationale en parlant même de « victoire »... François Taddéi, directeur du Centre de recherche interdisciplinaire, montre quant à lui tout l’intérêt de l’évolution technologique dans les apprentissages. Au terme des échanges, on arrive à une forme de consensus pour dire que c’est du côté de la formation initiale et continue des acteurs de l’éducation que le chantier reste ouvert, notamment du côté des Espé. Une co-éducation réelle passe par une formation partagée dans une continuité de temps, d’espace, de pédagogie, qui pour l’instant, ne fait pas l’objet d’une systématisation. Dans les échanges entre les acteurs de la table ronde, on conçoit toutefois combien la question des pédagogies nouvelles demeure, si ce n’est clivante, du moins objet de tension : celles-ci doivent-elles être promues pour les temps scolaires, ou encore être uniquement concédées aux marges de l’école, proposition qui fait réagir négativement plus d’une personne dans la salle. En même temps le faible temps de la table ronde n’a pas permis d’approfondir ce questionnement comme il aurait dû l'être, et notamment bien sûr à préciser de quelle pédagogie il est exactement question, face à l’hétérogénéité de ce qui continue à se définir comme « pédagogie nouvelle » et aux analyses propres à la sociologie de la pédagogie qui ont contribué à complexifier et à approfondir les regards. Peut-être ici aussi conviendrait-il aujourd’hui de renforcer le débat, et les alliances entre sociologie et éducation populaire, débat et alliances susceptibles de renforcer ces « désaccords féconds » capables de fixer des orientations collectives et partagées à partir d’interpellations réciproques auxquelles fait référence Eric Favey (cf. son intervention du 8 avril 2016).

Forum Rue des écoles : oser la mixité

Animé par Louise Tourret de France Culture, le forum a été consacré à la mixité sociale à l’école et dans l’éducation. Au-delà des discours convenus, comment se met en œuvre la mixité à l’école ? Quels en sont les bénéfices éventuels sur les parcours scolaires et citoyens ? La mixité à l’école est-elle souhaitée par tous ? Quels sont les effets de la ségrégation scolaire sur le lien social ? Ces questions ont été soumises tour à tour à Arnaud Riegert, doctorant à l’école d’économie de Paris pour une étude sur la ségrégation sociale et scolaire ; à Nathalie Mons, de l’université de Cergy-Pontoise, pour l’état de la recherche sur les effets de la mixité sociale à l’école ; à Ronan Cherel, professeur d’histoire-géographie pour les projets pédagogiques qu’il mène dans un collège d’un quartier prioritaire de Rennes ; à Flavie Boukhenoufa, militante à la Ligue de l’enseignement, pour les actions menées par les fédérations ; à Lénaïc Briéro et Frédéric Bourcier, adjoints au maire de Rennes, pour les politiques incitatives dans leur ville ; à Cécile Vivier-Buhagiar pour le ressenti des familles à Rennes. Manque de mixité, ghettoïsation, inégalités territoriales, échec de la carte scolaire et des politiques de compensation, mais aussi richesse des quartiers, initiatives citoyennes, levier de l’éducation artistique et culturelle sont les grandes idées qui ont alimenté les échanges, sans clore bien entendu le débat sur une question très polémique.

24 mars 2016

Deuxième table-ronde  : Egalité - laïcité : passer du discours aux actes

10èmes RNE 2016_03Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale, commence par faire un retour historique bref, mais précis et particulièrement clair, sur la laïcité. La laïcité garantit la liberté de l’individu, l’émancipation et l’égalité des citoyens. Il propose une formule synthétique : « elle sépare pour rassembler les citoyens ». Sans doute, poursuit-il, avons-nous baissé la garde en matière d’éducation en considérant ces dernières années que la laïcité était un principe acquis. Mais la laïcité à elle seule ne peut contribuer à faire du commun, tant que de fortes inégalités sociales persisteront. Ainsi sa manière, Jean-Paul Delahaye intègre dans sa réflexion ce que d’aucuns ont ressenti comme un manque dans la conférence introductive de Patrick Weil, peu porter à relever en quoi les questions économiques et sociales, et la progression des inégalités mettent aussi en jeu le « sens de la République ». 
Marc Sawicki, du Réseau français des Villes éducatrices, partage la définition de la laïcité proposée par Jean-Paul Delahaye, tout en mentionnant les interprétations diverses de la laïcité qui ont pu donner lieu à des décisions politiques extrêmes dans certaines collectivités (sur la restauration scolaire, par exemple). Reste que "l’école ne peut pas faire tout toute seule", et l’action de l’éducation populaire est plus que jamais nécessaire selon lui. Il est vrai que cette expression « l’école ne peut pas faire tout toute seule »  forcément juste, mais quelque peu routinisée, laisse en suspens la question de savoir ce que celle-ci doit faire ou pas, et quelles sont les divisions sociales et spatiales du travail éducatif qui se développent dans le cadre de la poursuite de la territorialisation, la mise en place des projets éducatifs locaux et de territoires.
Eric Favey dénonce le séparatisme social actuel, qui va à l’encontre du principe même de laïcité. Il est urgent selon lui de remettre la justice sociale au cœur des politiques publiques. Il s’agit également de rendre visibles certaines communautés qui se sentent ignorées, invisibles. Un des leviers principaux sur lequel agir est certainement les alliances éducatives, à l’intérieur et hors de l’école. Pour cela, les institutions doivent changer leur regard sur leur territoire.
Choukri Ben Ayed, sociologue, s’interroge sur la mise en œuvre du principe d’égalité et sa perception par les classes populaires. Selon lui, c’est l’institution elle-même qui installe les conditions de la ségrégation sociale. L’égalité n’est d’ailleurs pas au cœur de l’élaboration des politiques d’éducation. Dans ses travaux, il a constaté que là où il y a concentration de population non mixte il y a rupture d’égalité entre les élèves. Il dénonce le fait que les injonctions au vivre ensemble se fassent en direction des publics qui subissent le plus d’inégalités, ce qui est pour le moins paradoxal…Il constate également que les enseignants ne sont pas ou peu formés à la question de la différence, ni à la question de la laïcité. Mais il dénonce aussi le fait que les injonctions au vivre ensemble, l’apprentissage de la citoyenneté, le rappel aux valeurs, etc. se fassent en direction des publics qui subissent le plus d’inégalités, ce qui est pour le moins paradoxal… Avec approbation assez générale de la salle sur ce point. De la même manière, Jean-Paul Delahaye fait remarquer combien les « territoires perdus » de la République ne sont pas seulement ceux auxquels on pense, les plus stigmatisés : exemple récent à l’appui de ce quartier dont les prix de l’immobilier dépassent le commun des mortels, et dont une part des habitants se sont particulièrement élevés contre la présence de quelques réfugiés...
Des cas d’initiatives réussies ou encourageantes sont ensuite mentionnés. Jean-Paul Delahaye prend l’exemple d’un collège situé en zone sensible qui, grâce à l’action conjointe de l’éducation nationale, de la collectivité et des associations, a activé le levier de la carte scolaire pour assurer de la mixité, un travail sur le climat scolaire, sur la qualité de l’offre de formation, ce qui a conduit au final à la réussite scolaire des élèves. Il mentionne la création d’un livret sur la laïcité en direction des cadres de l’éducation nationale, et la formation de 300 000 enseignants à la laïcité dans les Espé, qui sont à reconstruire. Autre exemple, cité par Choukri Ben Ayed : un centre ressources enfance-famille-école de la Loire organisait des formations conjointes travailleurs sociaux – enseignants sur la connaissance des publics scolaires. Marc Sawicki rappelle, quant à lui, l’ " extraordinaire chantier " qu’a été En associant leurs parents, tous les enfants peuvent réussir, chantier qui se poursuit actuellement. Il cite également la Charte de la laïcité expliquée aux enfants élaborée par la Ligue de l’enseignement comme un bon outil de vulgarisation. Il appelle de ses vœux un vrai projet d’école partenarial, qui ne soit pas circonscrit à l’école mais qui puisse s’ouvrir à l’ensemble des partenaires éducatifs.

Troisième table-ronde : L’éducation partagée pour refonder la citoyenneté

10èmes RNE 2016_04Refonder la citoyenneté, pour qui, par qui et comment ? Jean-Paul Delahaye, s’appuyant sur le rapport Grande pauvreté et réussite scolaire paru en mai 2015, parle de « territoires perdus de la République » pour qualifier aussi bien les zones de pauvreté en France (qui touche 8.5 millions de citoyens) que les endroits où on pratique l’entre-soi en raison de ses richesses. Après des années de démolition, il s’agit de réintroduire de la solidarité dans le pays, notamment à l’école. Il prend comme exemple les crédits des fonds sociaux des établissements scolaires qui ont diminué, et celui des bourses peu élevées destinées aux collégiens. Nathalie Mons cite une étude du CNESCO qui montre que, concernant l’enseignement civique et moral à l’école, il existe un décalage entre les programmes et la réalité du terrain, notamment le faible engagement des élèves dans et hors de l’établissement. On aboutit en quelque sorte à une éducation civique « hors sol ». Cela est corroboré par le témoignage de Steven Prioul, étudiant militant, qui parle de « consommation de masse » à propos des jeunes face à l’école. D’après lui, son engagement actuel n’est pas une résultante de ses cours d’éducation civique, mais est plutôt lié à sa trajectoire familiale… Jean-Paul Delahaye voit là une raison historique : il existe toujours au sein même des établissements une coupure entre ceux qui enseignent et ceux qui éduquent (équipe pédagogique / vie scolaire). Il manque une culture de la participation dans les établissements, même si les lignes sont en train de bouger (avec les Conseils de Vie Lycéenne, le Parcours citoyen, l’Enseignement Moral et Civique). Lénaïc Briéro, élue, réaffirme quant à elle la nécessité des alliances éducatives école – territoire – familles pour mener à bien des politiques publiques efficaces. Concernant les relations parents-école, du chemin reste à parcourir. Jean-Paul Delahaye cite des initiatives positives, dans l’académie de Lille notamment, où certains parents, loin d’être « démissionnaires » interviennent dans les classes et font confiance à l’école. Du côté des collectivités, Lénaïc Briéro met en avant un projet partenarial mené à Rennes : « L’abécédaire de l’éducation », traduit en plusieurs langues dans le but d’améliorer la compréhension entre les familles, les associations et l’école.

La phase d’élaboration de la politique éducative de la ville de Rennes se traduit par la création d’ateliers participatifs ouverts à tous les partenaires. Des commissions Education Enfance-Jeunesse ont été mises en place dans les quartiers Politique de la ville qui se sont emparées principalement des volets Parentalité et Vivre ensemble du PEL. Sur la question des Pedt, Jean-Paul Delahaye rappelle les enjeux de l’organisation des rythmes scolaires dans l’aménagement du temps de l’enfant. Nathalie Mons souligne qu’il va falloir maintenant évaluer la mise en œuvre des Pedt sur les territoires et mesurer les écarts entre ces derniers. Lénaïc Briéro est d’avis que le PEL gagnerait en cohérence si les projets d’école y étaient inclus. Jean-Paul Delahaye abonde dans son sens en ajoutant qu’il faudrait qu’il y ait une sorte de « garantie de réciprocité » pour convaincre les équipes des écoles de participer à l’élaboration des PEL. Enfin, Nathalie Mons précise que travailler en équipe requiert des présupposés : qu’il y ait un vrai enjeu ; qu’une place soit réellement accordée à chaque participant ; que l’ensemble des acteurs soient réunis. Autant de pistes à creuser pour favoriser une éducation à la citoyenneté réelle.

10èmes RNE 2016_05Au terme de ces journées, la directrice de la DGESCO, Florence Robine, a présenté les grandes lignes de l’action ministérielle. La clôture des Rencontres est revenue à Hélène Grimbelle, secrétaire nationale de la Ligue de l’enseignement.
Faire le point sur les enjeux de l’éducation partagée, tel était l’objectif de ces 10èmes Rencontres nationales de l’éducation, objectif globalement atteint. Les principaux acteurs de l’éducation ont pu s’exprimer (y compris la voix des jeunes), tous ont affirmé leur volonté de travailler ensemble. L’éducation nationale, très attendue sur la question du partenariat, a voulu montrer sa volonté d’ouverture. Les temps éducatifs sont des temps longs - que certains regrettent - reste qu’un processus semble enclenché. Comment les différents acteurs feront vivre cette co-éducation sur le terrain ? C’est là toute la question…

Compte-rendu réalisé par Anne Francou