Les rencontres du pays voironnais
A partir de ce colloque intitulé "Eduquer nos enfants: une reconquête citoyenne ?" vous seront présentées les grandes lignes des interventions de trois chercheurs: Jean-Marc Berthet, Dominique Glasman et Eric Debarbieux. Entre les deux premières, nous présenterons les positionnements d'élus et de techniciens lors de l'unique table ronde au cours de laquelle les points de divergence se sont, pour l'essentiel, cristallisés sur la question des inégalités ethniques, inégalités reconnues pour certains, pas assez pour d'autres.
Ces rencontres ont été animées par Stéphane Kus du Centre Alain Savary (CAS), une « unité » de l’Institut français de l’éducation, spécialisé sur les questions relatives à l’éducation prioritaire. Stéphane Kus souligne que le CAS a notamment mis en place depuis deux ans, avec Jean-Marc Berthet, un séminaire intitulé : « les questions vives du partenariat », séminaire qui lui permet d’introduire l’intervention de ce sociologue et consultant.
Intervention de Jean-Marc Berthet,chercheur associé a l'universite de Versailles
Ce sociologue- consultant précise, en premier lieu, la double approche professionnelle qu’il tient à articuler : celle de travailler sur les politiques locales d’éducation et celle de participer à des « formations-actions » avec des travailleurs sociaux au sens large. Son intervention sur les politiques éducatives locales se déclinent en trois temps : un détour par l’histoire de ces politiques marquées par une certaine « lenteur », les grands enjeux et, enfin, les « nœuds » explicatifs de cette lenteur.
Il débute son approche historique en rappelant que l’expression « politique éducative locale » est contradictoire puisque, historiquement, l’éducation est une affaire d’Etat, « le local renvoyant à l’illégitime, aux privatismes, » aux intérêts particuliers. Ensuite pour expliquer cette lente montée des politiques éducatives locales depuis une trentaine d’année, il souligne différents fils conducteurs dont les tensions entre les politiques éducatives territorialisées et celles territoriales. Sur ce point, il fait référence à l’analyse de Bernard Charlot en 1994 et à la re-problématisation de Dominique Glasman en 2005. Jean-Marc Berthet se demande, par l’expression même de politiques éducatives locales, si nous sommes actuellement, avec la réforme des rythmes, dans une situation où l’Etat octroie cette politique au local ou, à l’inverse, si le local et ses élus revendiquent la mise en place de ce type de politique éducative.
Proposition de découpage historique en cinq grands moments :
1) fin des années 70 : la montée du local et des questions éducatives dans le contexte de décentralisation des politiques publiques, avec un engagement financier grandissant des collectivités locales. « Cela veut dire que l’Education nationale n’a plus le monopole des questions éducatives ».
2) Dans les années 80-90, de nombreux dispositifs sont expérimentés, souvent impulsés par la Politique de la ville, pour questionner l’aménagement des rythmes de l’enfant (CARVEJ, Contrats bleus, Contrats temps libre, CEJ, …) Toutefois, pour ce chercheur, le cumul et le foisonnement de ces dispositifs (souvent contractuels) soulèvent la question non résolue du pilotage des politiques éducatives locales.
3) L’autre tournant historique est l’année 98 avec « la volonté étatique de faire système ». Tout d'abord, le lancement des contrats temps libre (CTL), par la CNAF, avec une approche universaliste visant le développement des offres de loisirs, et « trois mois plus tard, du côté de l’Etat, on lance les Contrats éducatifs locaux signés par quatre ministères.» Le CEL devait permettre d’agréger, de rendre cohérents dans un tout, tous les dispositifs éducatifs accumulés. « C’est à partir de 1998 qu’on commence à parler de projet éducatif local (…) Et c’est du côté de la politique de la ville que germe cette idée là. D’où cette tension sur la question des publics visés. »
4) La dernière rupture est l’arrivée, en 2005, de la réussite éducative, arrivée qui, selon Jean-Marc Berthet, provoque « une éclipse partielle des projets éducatifs locaux ». Le PRE est nouveau par son approche individualisante, par son portage juridique, et, surprenante par les moyens financiers engagés au point que certains PRE ont pu avoir « plus de moyens que sur le CUCS ! » Quelques mois plus tard, en réaction, l’Education nationale propose des programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE). Ce ministère individualise en interne « alors que jusqu’à présent, l’E.N avait eu tendance à externaliser ce problème et à le renvoyer vers les acteurs locaux. »
5) Le cinquième moment de cette histoire est la tentative de refondation de l’école « aujourd’hui parasitée par la seule question de la réforme des rythmes ». Réforme marquée par les principes de l’Appel de Bobigny de 2010 initiés par différentes associations d’éducation populaire et de parents d’élève qui souhaitaient faire inscrire dans la loi la notion de « projet éducatif local », devenu le PEDT.
Toutefois, Jean-Marc Berthet souligne que cette réforme est très éloignée de ce qu’elle laissait présager lors des premières déclarations de Vincent Peillon, alors ministre de l’Education nationale. De plus, précise-t-il, « cette réforme ne pose-t-elle pas le risque d’une politique éducative à plusieurs vitesses ? »
Après ce détour historique, Jean-Marc Berthet expose quelques enjeux et concepts mobilisés aujourd’hui.
« Ces histoires de politiques éducatives locales sont bien à la charnière de différentes politiques publiques qui ne concernent pas que l’Education nationale. » De plus, trois nouveaux concepts auraient émergé : l’idée de territoire apprenant, la notion d’école inclusive et la question de la « co-éducation ».
Selon lui, les principaux enjeux d’un PEDT sont:
- la question des valeurs éducatives : quelles sont les intentions éducatives portées au départ par les différents acteurs ?
- essayer de penser « projet » et non « programme ».
- Qui souhaite-t-on aider ? Ce qui renvoie aux diagnostics des besoins.
- Les questions de continuité et de cohérence éducatives,
- L’accessibilité au sens large,
- L’implication des acteurs et leurs formations.
Ce chercheur conclut son intervention en déclinant « six nœuds auxquels nous sommes confrontés » :
- Notre difficulté à reconnaître la place du local du fait de l’histoire de l’Education nationale,
- Les transformations de l’Education populaire et notamment du discours qui a pu être le sien,
- La question des choix politiques : "Qui gère cet éducatif local ? On municipalise les services, on délègue aux associations, si tel est le cas, sous quelle forme?"
- La place des élus dans ces exécutifs locaux pour défendre ces politiques. Est-ce un enjeu politique fort pour les collectivités ? Jean-Marc Berthet n’en est pas persuadé.
- « Le choc des professionnalités » : la difficulté de faire travailler ensemble des enseignants à bac+5, des éducateurs à bac+3 et des animateurs dénoncés comme n’étant jamais assez diplômés.
- Un nœud méthodologique : tout le monde souhaite des meilleurs résultats éducatifs mais le débat n’a jamais lieu tant les intérêts sont divers (animateurs, principal, élu, …), une manière d’éviter le conflit. Quels sont les lignes où on ne serait pas d’accord et où il y aurait débat ?
Conclusion autour de 3 pistes de travail :
1) Accepter la conflictualité en la rendant productive, (sens du mot « partenariat »),
2) Capacité à faire des collectifs localement, (professionnels, parents, …)
3) Se poser les bonnes questions. « Aujourd’hui, les moyens tiennent lieu de méthodes ! On est dans l’urgence, on va vite, on parle moyens mais on oublie de se poser la question du sens. En quoi localement on essaie de lutter contre les inégalités ? »
Table ronde sur les inégalités en éducation
Cette table ronde débute par les propos d’un des responsables du service éducatif sur la pays voironnais centrés sur la mise en place d’un programme de réussite éducative (PRE) en 2008 après le diagnostic d’un cabinet de conseil en 2006. Il souligne la question de la discrimination en fonction du territoire alors que, selon lui, ce dispositif devrait réduire les inégalités (accès, …). De plus, dans cette intercommunalité, se pose également la question de l’harmonisation des offres éducatives des 34 communes ?
Le deuxième intervenante se situe sur un autre plan, Marie-Odile Novelli est en charge du logement au Conseil régional, mais est également une élue locale de l’opposition, situation délicate pour cette table ronde dans un contexte post-électoral dont certaines équipes du Pays voironnais se relèvent difficilement... Cette élue débute par une critique de l’égalité des chances fondée sur une « pédagogie méritocratique qui sélectionne par l’échec opposée à une pédagogie de la réussite qui valoriserait chaque individu. » Selon elle, il faut commencer le plus tôt possible pour créer des passerelles entre les parents et l’Education nationale, cette dernière ne voit pas la famille comme un partenaire, les parents n’osent pas intervenir ou sont en opposition, en rejet : « les gens en difficulté ont besoin de râler, critiquer, c’est une réaction de défense… » Enfin, elle termine son propos en usant de sa double casquette : en tant qu’élue locale, elle critique les nouveaux élus qui voudraient remettre en cause les rythmes et placer tous les TAP le jeudi après-midi, ce qui serait, selon elle, contre-productif. En tant que membre du conseil régional, elle affiche le discours d’usage : « nous avons les jeunes à partir de 16 ans », la région est donc légitime pour travailler sur le PRE 16-18 et sur le décrochage, voire contribuer au renforcement du maillage entre partenaires.
Jean-Pierre Obin est chargé d’enseignement à Versailles- Cergy et rapporteur de notes éducatives pour le think tank Terra Nova. D’emblée, son propos se centre sur les inégalités qu’il qualifie de "plurielles" (genre, socio-économique, socio-culturelle, territoriales, …), rappelant dans un langage boudieusien que « les fils d’enseignants réussissent le mieux à l’université » ou bien, que les disparités territoriales sont de plus en plus marquées, le Languedoc Roussillon étant le territoire le plus en difficulté.
Jean-Pierre Obin se positionne sur la même ligne que J.M Berthet pour décrier l’accumulation de dispositifs: « on sédimente les dispositifs et, de l’autre côté, on voit les performances du système éducatif baisser ». Il revient sur les résultats de l’enquête PISA, regrettant comme tout un chacun que la France soit le pays où la corrélation est la plus importante entre origine sociale et réussite scolaire et où la détérioration a été la plus rapide. Selon lui, « plus un système est juste, plus il est performant. Toutes les politiques qui ont ciblé l’excellence ont échoué. Le facteur prépondérant est la mixité sociale », citant les travaux de Marie Duru-Bellat, Choukri Ben-Ayed ou Eric Maurin. « Plus un système discrimine tôt et fabrique des filières, plus il est injuste. (…) Le collège est resté ce « petit lycée » d’avant-guerre. » Pour remédier à cela, Jean-Pierre Obin prône une unité éducative entre le CP et la 3ème mais de nombreuses résistances sont à dépasser. En tant que représentant de Terra Nova, il souhaite également une unité de pilotage au niveau de l’intercommunalité pour gérer la carte scolaire des écoles et des collèges, citant l’exemple du quartier de la Source à Orléans où 4 collèges sont gérés conjointement pour recréer de la mixité par une meilleure redistribution.
Par un discours plus institutionnel et administratif, Christiane Guiboud-Ribaud, représentante de la CAF, plaide en faveur de politiques éducatives concertées, coordonnées, d’ une offre territoriale variée, d’un « soutien à la parentalité », notamment par un meilleur accès à l’information, pour cela, selon cette technicienne, « les centres sociaux sont au cœur du dispositif », citant les financements CLAS, REAAP, … (en lien ou non avec le CUCS).
Sophie Ebermeyer est responsable du GIP à la métro de Grenoble, GIP notamment axé sur les PRE et la lutte contre les discriminations. Informatif au départ, « dans notre agglomération, ce sont les communes qui mettent en œuvre le PRE. Nous avons développé une formation, une ingénierie pour développer le sens de ce qui est fait », son propos devient ensuite plus critique : « L’objectif est bien de réduire les inégalités, objectif présent dans les propos des ministres, beaucoup moins au niveau des territoires. » Selon elle, la cour des comptes a montré que le droit commun « met moins » quand la politique de la ville donne plus.
Enfin, le discours prend une tournure plus polémique en ciblant les propos de Jean-Pierre Obin et des travaux de Terra Nova « aveugles, selon elle, aux autres paramètres (inégalitaires), notamment ethniques »; une tournure appréciable pour éviter que la table ronde soit une suite de discours consensuels. Or, selon cette technicienne, des recherches-actions ont montré qu’il y avait des discriminations selon le sexe et l’origine ethnique, pourtant, affirme-t-elle « dans l’éducation, les discriminations ne tombent pas sous le coût de la loi ». Ce point sera contesté par Jean-Pierre Obin, tout comme il niera l'absence de prises en considération des inégalités ethniques dans les rapports de Terra Nova. Chacun restera sur ses positions, cristallisant le seul véritable point de tension de cette table ronde. Sophie Ebermeyer conclura son discours centré sur la lutte contre les discriminations ethniques par des propos, très proches de ceux de Françoise Lorcerie à Seyssins, relatifs aux besoins de formation des enseignants pour lutter contre la mobilisation des préjugés ethniques, regrettant pour l’heure qu’«on écoute assez peu les élèves et les parents sur les discriminations qu’ils vivent. »
Enfin, ce sera à Michel Baffert, ancien élu de la métro de Grenoble, de clore cette table ronde en tant que représentant du réseau français des villes éducatrices. Il rappelle en premier lieu qu’au plan national, le réseau des villes éducatrices compte 150 communes, soit une dizaine de million d’habitants, et que ce réseau « a été parmi les porteurs de l’Appel de Bobigny. » Selon lui, « on a focalisé tout le monde sur les rythmes scolaires et non sur les rythmes de l’enfant, son équilibre hebdomadaire, des journées trop courtes alors que les chrono-biologistes mettaient en garde contre les coupures trop longues. » Faisant écho aux propos introductifs de Jean-Marc Berthet sur la commune de Saint-Fons, il constate que « des communes précurseurs il y a trente ans n’ont pas capitalisé et n’ont pas toujours conservé la dynamique qui était la leur. » Il rejoint également les propos de Jean-Marc Berthet en affirmant que « certains maires n’avaient pas fait de l’éducation leur priorité. Ce que des villes ont fait en trente ans, les nouveaux élus ne vont pas l’apprendre en quelques mois. »
Intervention de Dominique GLASMAN, professeur émérite à l’Université de Savoie
Selon ce sociologue spécialiste des politiques éducatives au sens large, « il n’est jamais facile de parler de la relation parents et école, les parents ont des ressources et des perceptions variables, il faut donc à la fois aborder le positionnement de tous les parents et la diversité des parents, notamment ceux des quartiers populaires. » Pour aborder cette relation, Dominique Glasman propose un inventaire des représentations que l’école entretient sur les parents et, inversement, celui des représentations cultivées par les parents à propos de l’école. Pour ce chercheur, ces représentations sont enracinées dans le réel ou non, dans tous les cas, il faut les prendre en compte quand elles se traduisent par des griefs réciproques.
Représentations croisées : ECOLE-Parents
R° : les parents ne s’occupent pas assez de leurs enfants
R° : ils demandent tout à l’école
R° : grief de ne pas avoir des enfants scolarisables
R° : agressivité des parents
R° : ils ne font pas confiance à l’école
Représentations croisées : Parents- ECOLE
R° : Les profs ne s’intéressent qu’aux bons élèves,
R° : Ils ne s’adaptent pas à la singularité de mon enfant,
R° : ils ne savent pas gérer leurs classes,
R° : les profs donnent du travail sans savoir si les parents ont les ressources pour répondre aux exigences scolaires
R° : L’école doit éduquer les enfants et ne pas s’occuper d’autre chose que d’instruire.
Hypothèse : il s’agit de questions structurelles et non des questions liées aux personnes.
Cela renvoie aux transformations « sur lesquelles on ne reviendra guère »:
- de l’école et de ses enjeux,
- aux institutions en général,
- aux relations intra-familiales,
Evolutions sociétales qui alimentent ces griefs et ces transformations :
- les enjeux de l’école se sont alourdis, les attentes ont augmenté en termes d’insertion sociale et professionnelle, y compris pour les CSP aisées.
- Contexte du marché de l’emploi,
- La question de la transmission inter- générationnelle passe par l’école,
- L’idée que l’enfant qui réussit a de bons parents, les autres de mauvais.
Comme ces enjeux se sont alourdis, on pardonne de moins en moins à l’école ses erreurs (sanction) et on lui renvoie plus facilement un certain nombre de griefs.
- Succès des prestations et appuis extérieurs (coaching, orthophoniste, cours privés, …), ce qui « déculpabilise » les enseignants face aux difficultés de l’enfant et limite le risque de conflits parents-enseignant à propos des difficultés,
- Paradoxe : alors que l’enfant passe par de nombreuses structures collectives, les parents peuvent se positionner comme les seuls juges > « privatisation de l’enfant », (laquelle pèse dans les relations avec l’école).
- « Effet de contexte» où les situations peuvent être interprétées comme malveillantes, discriminantes, voire racistes > cela peut peser sur les relations parents-école,
- un rapport moins soumis à l’institution, société moins holiste et plus individualiste,
- interpénétration public-privé : le public rentre dans le privé (injonctions éducatives) et le privé se donne de plus en plus dans le public (situations familiales exposées)
EDUQUER NOS ENFANTS, UNE RECONQUÊTE CITOYENNE, quelles pistes ?
"Les parents jouent le jeu de la compétition scolaire et les familles ne reviendront pas au modèle patriarcal." Quelles solutions ?
Les gestes professionnels :
- « Bien traiter les parents ; comme on aimerait l’être», à égalité (notamment en cas de complexe social), être traités comme les autres,
- Ouverture et reconnaissance : favoriser les liens avec les parents, (dans les milieux modestes, il est important de pouvoir donner un visage, une image positive de l’institution, une personne qui reconnaît chaque famille),
- Prendre en compte la singularité de chaque parent (cf stratégies de distinction, …)
- Donner des exigences accessibles, des demandes réalisables (en gardant à l’esprit la disparité des ressources des familles, éviter les injonctions contradictoires,
- Entendre la parole des parents en tant que professionnels et en tant qu’institution.
Les initiatives des institutions :
- Aide à la parentalité (empowerment ): les aider à gagner en capacité ou les « normaliser » à travers certains dispositifs ? Ne pas les envahir par des injonctions (stages parentaux, injonctions de différents professionnels), mais, si les professionnels en sont conscients, ces actions peuvent aider les parents.
- Rencontrer des tiers autres que les représentants institutionnels
- Prises en compte des préoccupations des parents et recherche collective de solutions,
- Respect de la loi dans les institutions, dans le travail social, etc. Idem pour tous, parents comme enseignants ou autres.
- Aider la constitution de collectif pour susciter le débat sur l’éducation. Débattre n’est pas mettre en cause les personnes. Il est important de ne pas faire de l’éducation une question politicienne mais d’en faire une question politique dans le sens de la vie dans la cité. D’apprendre à confronter les points de vue.
- Expliciter les implicites (valeurs, intentions éducatives, différences d’intérêt chez les parents vers une école plus ou moins sélective, tolérante, …)
- Expliciter l’enseignement : se mettre à la portée des élèves sans se mettre au niveau.
- Ne pas remettre en cause, a-priori, le local au profit du national,
- L’éducation populaire institutionnalisée, voire instrumentalisée, ce qui a nui à la parole et à la pensée éducatives. Besoin d’adultes tiers qui ne soient ni parents, ni enseignants dans des espaces intermédiaires.
« Jean-Pierre OBIN rappelait l’impact de l’origine sociale dans la réussite scolaire », souligne Dominique Glasman, or, « quand les catégories populaires n’espèrent plus ou ne trouvent plus de solutions, il y a URGENCE, sauf si l’on souhaite vivre dans une société de plus en plus émiettée. »
Et de conclure : « La question de la diversité des aides au sein de l’Education Nationale dit beaucoup de l’attention de cette institution pour ces publics, toutefois, pour être efficace, l’aide doit être ciblée. Elles ne doivent pas seulement être là pour exister. »
Intervention d’Eric Debarbieux, maître de conférence à Créteil et responsable de l’observatoire international de la violence à l’école
Qu’est-ce que la violence à l’école ?
Le discours qui se nourrit des « faits divers » va alimenter le discours sécuritaire et les solutions simples. Plutôt que de partir de ces faits médiatisés, Eric Debarbieux propose de parler de violences plus discrètes, celles du harcèlement. (1 enfant sur 10 les subit à l’école).
1) la violence à l’école ne vient pas de l’extérieur. 95% des actes sont réalisés par les élèves sur d’autres élèves dans les établissements. A la marge, il peut y avoir des intrusions.
2) Des micro-violences répétées concentrées sur un nombre restreint d’élèves. (1 500 cas de racket remontent au ministère, plus de 5 fois ce nombre remonte dans les enquêtes de victimisation. Peur des représailles. (10% d’élèves victimes, 5 à 7 % harcelés > solitude des victimes > décrochage > dépression, etc). Toutefois, 90% des élèves se sentent bien dans leur école, disent « que ça va bien ! ». Idem dans d’autres pays.
3) Pas de typologie des harceleurs ou des harcelés, mais des mécanismes récurrents : perçu comme faible, minoritaire culturellement, minoritaire du point de vue des orientations sexuelles, le bon élève, … >
4) prévention > économie financière en terme de santé publique
5) Sécurité > Des politiques sécuritaires en France ont pu prôner la tolérance zéro or, les expériences américaines en la matière montrent l’importance de la prévention, du climat scolaire, de la prise en compte des enfants les plus « difficiles », … (exemple d’une recherche autour d’un suivi de cohorte pendant quarante ans de 500 jeunes ayant agressé quand ils étaient jeunes > les résultats montrent qu’il faut aider les victimes et les agresseurs pour ne pas les plonger dans un cycle négatif.)
6) Mythe du laxisme et du pédagogisme depuis mai 68 ou mythe de l’enseignant sadique : selon lui, il n’y a pas une causes mais différents facteurs sur lesquels nous pouvons parfois agir :
- troubles de comportement acquis, (signes d’agressivité précoces)
- styles familiaux :
- autoritarisme et châtiments corporels
- style de parents aux réponses éducatives opposées (« l’emmerdeur qui teste sans arrêt »)
- style enfant-roi > comment expliquer ces surcompensations ?
- conditions socio-économiques (chômage et violence corrélés, …)
- facteurs liés aux groupes, aux pairs : l’oppression conformiste, « pattern de comportements », …
- facteurs scolaires (violence à l’école n’est pas égale à la violence de l’école) : la qualité et la stabilité des équipes éducatives sont des facteurs explicatifs des risques de violence, un facteur beaucoup plus important que les types de structures familiales.
- Le sentiment de justice scolaire,
- Le sens des sanctions : au sein de la famille comme dans l’école, (châtiments corporels), Besoin de mettre en place collectivement une justice réparatrice > baisse des violences dans l’EPLE de 30% dans les EPLE ciblés.
- Le sens de l’évaluation, de l’orientation,
- Le facteur de sur-exclusion dans l’EPLE (classe de niveau, classe ghetto, …) « Mettre les enfants les plus difficiles ensemble, c’est de la criminologie de base »
- On parle beaucoup de BIENVEILLANCE mais celle vis-à-vis des élèves passe par celle vis-à-vis des enseignants (pas de médecine du travail à l’E.N).
Que faire ? quel bricolage ?
1) Un diagnostic précis
2) Trouver des solutions pour « faire bouger les témoins, les agressés », besoin d’aide psy pour les victimes et les parents de victimes (cf loi de refondation de l’école).
3) Site « agir contre le harcèlement à l’école » : susciter le débat avec les parents, susciter des échanges autour de ces vidéos entre parents et enfants.
La question de la responsabilité de l’Education Nationale
Il existe une violence institutionnelle certes, mais, selon lui, il faut être prudent sur la critique du système scolaire car, ici comme ailleurs, ce sont dans les quartiers les plus difficiles que les équipes sont les moins stables, ce qui constitue une partie de l'explication. En France, de nombreux enfants manquent de soin et l’école n'est pas suffisamment inclusive par le biais de pédagogies différenciées. Il ne faut pas forcément faire le procès du collège unique, « il y a des effets de système » et des idéologies dominantes qui valorisent « la magistralité » et dévalorisent les « pédagogies actives ». "Comment travailler collectivement quand de nombreuses règles de fonctionnement, de représentations, encouragent à enseigner seul ? Comment les enseignants « font-ils équipe » pour trouver des solutions collectives ?"
Sébastien Bouteix
Chargé d'études à l'observatoire des politiques d'éducation locales, IFE, ENS de Lyon.