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Les relations entre les familles et l'école : processus et enjeux

par Pierre Périer

Depuis les années 1980, le principe d’une relation à construire entre les parents et l'école s'est progressivement imposé jusqu’à devenir une "nécessité". Devenus partenaires ou co-éducateurs, les « parents d’élèves » se voient accorder une place et un rôle qui témoignent d’une forme de reconnaissance mais aussi de la responsabilité éducative qui leur est attribuée dans la scolarité, « bonne » ou « mauvaise », de leur enfant. En effet, il semble admis que la qualité des relations entre les familles et l’école représente un facteur déterminant des scolarités sinon une condition de réussite des élèves. Or, c’est précisément ce postulat qui demande à être analysé en portant le regard sur les différences et inégalités des parents face à l’école et les conditions de possibilité d’une coopération équitable.

Une politique volontariste et ses ambiguïtés

Les familles sont désormais invitées à s’investir dans l’école et la scolarité de leur enfant, à échanger avec les enseignants et à coopérer. Car l’école ne parvient plus seule à faire face à l’hétérogénéité croissante des publics et à l’enjeu de « réussite » (du moins, à la conjuration de « l’échec »), surtout dans les quartiers populaires et de l’éducation prioritaire. La pression est forte également tant du côté des parents, préoccupés de voir leur enfant sortir avec un « bagage », que de la société qui ne supporte plus le « coût » du décrochage scolaire ou de jeunes sans qualification et que l’on sait menacés de relégation ou d’exclusion. La diversité des tâches et missions qui incombent à l’école lui intime de se tourner vers des partenaires extérieurs au premier rang desquels les parents qui sont idéalement des figures d’alliés, mais qui ont aussi parfois le statut d’auxiliaire, de recours ou encore de « démissionnaire»  (Lahire, 1995) lorsque sont pointés des carences ou manquements tant sur le plan scolaire (absences répétées aux réunions, cahiers ou mots non signés, devoirs non vérifiés …) qu’en matière d’éducation (défaut d’autorité, tolérance à l’égard d’activités « non scolaires », horaires sans surveillance…).

 Certes, les politiques s’intéressent depuis plusieurs décennies déjà, à encourager l’expression et l’implication des parents en leur accordant des droits étendus. Ainsi, la Loi d’orientation de 1989 élève les parents au rang de « partenaires permanents et à part entière de la communauté éducative ». Une circulaire de février 1990 précise que « tout doit être mis en oeuvre pour faire en sorte que les parents viennent à l’école, pour y parler de leurs enfants ou participer à des activités spécifiques à destination des enfants ». Plus récemment, une autre circulaire en date de 2005 souligne l’enjeu de « soutenir et renforcer le partenariat nécessaire entre l’institution scolaire et les parents d’élèves ». Ce volontarisme est porté, avec un succès inégal, par des dispositifs, actions, outils (Semaine des parents à l’école, Mallette des parents et plus récemment, Espace parents…) de renforcement de la participation des parents dans l’école, au moins par leur présence. L’objectif dépasse largement l’enjeu d’information et vise à sensibiliser voire à former les parents au rôle que l’institution scolaire attend de les voir endosser. 

Le principe d’une meilleure connaissance et reconnaissance entre parents et acteurs de l’institution scolaire ne souffre guère de réserve, convaincus qu’ils sont l’un et l’autre que ce lien renforce la continuité éducative dans le plus grand intérêt de l’enfant. En revanche, l’opérationnalisation des politiques de « partenariat » est interrogée, de même que son appropriation par les différents acteurs, en interne comme en externe. En interne, car les enseignants sont loin de tous partager l’idée d’un renforcement des droits des parents ou de leur plus grande présence dans l’école, s’inquiétant de la confusion des rôles et de l’immixtion de certains dans le domaine « réservé » de la classe et de la pédagogie. Il s’agit aussi, comme on peut l’entendre parfois, de préserver l’élève d’un regard trop intrusif de ses parents et de lui accorder une sphère d’autonomie. En externe, force est de constater la présence régulière des parents les plus familiers de l’institution scolaire et dont les enfants connaissent des scolarités de réussite et, inversement, l’absence ou la distance de ceux-là mêmes dont les enfants rencontrent plus de difficultés et que la coopération avec l’école pourrait probablement aider. Sur certains territoires, les programmes de réussite éducative sont appelés à prévenir ou à atténuer ces écarts, tensions et conflits entre acteurs et institutions. Un approche plus globale de l’enfant et de la famille au travers d’un certain nombre d’actions et d’activités dans les quartiers offre des opportunités de lien et de soutien qui sont de nature à renforcer la puissance d’agir des publics les plus vulnérables. Il reste que les difficultés de la scolarité requièrent des réponses à court terme qu’un accompagnement  sur le plus long terme ne permet pas toujours d’apporter.


Un partenariat inégal

Car en réalité, les familles se saisissent très inégalement de l’invitation à participer et à se conformer au rôle de « parent d’élève » et les inégalités des enfants dans les apprentissages sont redoublées par des inégalités des parents face à l’école. Non qu’ils se désintéressent des enjeux de scolarité mais ils ne possèdent pas les compétences et ressources adaptées à ce que l’institution reconnaît et attend. Force est ainsi de constater qu’une minorité entreprenante des parents développe un rapport stratégique à l’école et à ses agents. Les dérogations à la carte scolaire, les choix tactiques d’options ou de classes témoignent du développement d’une logique libérale dont profitent les familles les plus en connivence avec le monde et la culture scolaires. Ces usagers avertis qui se comportent en « consommateurs  d’école» (Ballion, 1982) sont en mesure d’agir au service des intérêts scolaires de leur progéniture. Les membres des classes moyennes et supérieures sont fortement représentés dans cette catégorie mobilisée sur l’enjeu de la réussite ou mieux, de l’excellence scolaire.

De l’autre côté du spectre partenarial, des parents « invisibles », membres des classes populaires et immigrées, dont les comportements s’écartent des attentes de rôle assignées au « parent d’élève » (Périer, 2005). En effet, l’accès à ce mode de relation concerne implicitement des usagers partageant les codes et nomes de l’institution scolaire, et dotés des compétences dignes d’un parent « idéal ». Il s’agit en particulier de comprendre le « mode d’emploi » des rencontres et des échanges avec les agents de l’école, de pouvoir se rendre disponible aux horaires et selon les modalités prévus, de maîtriser suffisamment la langue française pour échanger et argumenter, de connaître le fonctionnement de l’école et d’identifier ses différents interlocuteurs... A la maison, il est attendu, comme le disent spontanément les enseignants, que les parents « suivent la scolarité » de l’enfant en s’intéressant à ses apprentissages et en l’aidant dans ses devoirs. Autant de tâches dévolues à leur rôle et responsabilité de « parent d’élève » mais qu’ils sont très inégalement en capacité d’exercer. Les familles les plus démunies et les plus dominées sont face à une injonction paradoxale car elles ne peuvent ni participer de façon efficace ni se tenir en retrait, au risque d’apparaître comme des parents défaillants ou non-partenaires. La dissymétrie des rapports entre ces parents et l’école peut, dans bien des cas, être une source de tensions et de conflits lorsqu’ils se voient rappelés à leurs « obligations » sur le mode radical de la convocation voire de la sanction [1].

Quelle alliance avec les familles populaires ?

Il importe préalablement de rappeler l’intérêt de tous les parents pour la réussite scolaire de leur enfant quand bien même ils le manifestent selon des formes et avec des modalités variables. Les parents des classes populaires reconnaissent les compétences des enseignants et leur accordent leur confiance. Ils espèrent en une école qui réaliserait sinon l’égalité des chances entre élèves, du moins l’égalité des droits entre des individus qu’elle protège et respecte sans discrimination aucune. Nombre de parents ont pour norme de ne pas intervenir et attendent d’être informés par l’école ou d’être sollicités par elle. Ils ne jugent donc pas utile de rencontrer les enseignants et s’interdisent même de s’immiscer dans un domaine qu’ils s’obligent à respecter. C’est précisément cette attitude qui secrète le différend entre les familles populaires et l’école lorsqu’elles ne partagent pas les mêmes règles d’échange et n’ont pas de moyens adaptés pour sortir de relations tombées dans l’impasse. Dans cette configuration, il n’est pas rare que les parents expriment un sentiment d’injustice sinon de trahison vis-à-vis d’une école en laquelle ils avaient confiance et qu’ils regardent, au fil des accrocs scolaire et relationnel, avec méfiance voire défiance (Périer, 2012). Les familles les plus vulnérables déploient des tactiques défensives pour se protéger. Elles tentent de se soustraire au regard et au jugement de l’école qui, indirectement, les culpabilisent et les humilient parfois. Car ce que l’école leur renvoie à travers la scolarité de l’enfant peut représenter une menace pour l’identité et la cohésion du groupe familial et s’ajouter ainsi aux difficultés et aléas du quotidien. Alors que l’institution scolaire cherche des alliés, les parents disqualifiés peuvent, au contraire, « faire bloc » avec leur enfant, le protéger pour se protéger elles. Le retrait est une tactique défensive, qui permet de « garder la face » ou de préserver sa dignité de parent. Sans médiation, il peut sembler difficile de les réinsérer dans des liens qui brisent le cercle de l’isolement.

Animés des meilleures intentions, les politiques et dispositifs visant à « rapprocher les parents de l’école » peinent à atteindre leurs objectifs et laissent une partie des parents à distance. Paradoxalement, ils font émerger de nouvelles inégalités au risque de culpabiliser les parents les moins conformes alors même qu’ils sont confrontés, eux et leurs enfants, à plus de difficultés. En imposant une norme de « parent d’élève », l’école ne s’adresse en réalité qu’à un sous-ensemble d’entre elles, quand d’autres s’exposent à la disqualification et aux effets de violence symbolique de l’institution.

L’un des axes de réflexion consiste à clarifier les attentes normatives et impensés de politiques qui font obstacle à la reconnaissance, à la réciprocité et l’équité que chacun semble pourtant appeler de ses voeux. Tout ce qui contribue à expliciter les rôles et responsabilités des uns et des autres peut aller dans ce sens. La diversification des formes et support du lien avec les parents représente également un moyen d’associer le plus grand nombre. Au-delà des modalités de communication qui ne restent qu’un moyen, l’alliance entre école et famille repose en amont sur une relation de reconnaissance réciproque qui légitime chacun des acteurs. Quels sont les aspects et contenus (à définir) d’une relation entre parents et école pouvant renforcer la complémentarité dans l’intérêt de l’enfant ? Quelle peut être la contribution des parents dans une logique qui les renforce face à l‘école, mais jamais ne les affaiblit ou ne les désavantage ? Des actions dans et hors l’école favorisant l’expression individuelle ou collective des parents et l’écoute de leur « voix », souvent tenue à l’écart, sont porteuses de changements par la conscience des enjeux et la maîtrise des règles du jeu. Un tel objectif implique dans certains cas de doter les parents des compétences (de langage, d’accès à l’information…) et de droits qui les mettent réellement à égalité des autres. Le « soutien à la parentalité » revêt alors une fonction sociale et politique qui s’adresse à des personnes mais en les insérant dans des rapports sociaux qui conditionnent leurs possibilités d’action éducative et d’intervention dans le champ scolaire. Loin de l’idée d’exiger de parents ce dont ils ne sont pas capables, une politique juste et respectueuse de ce qu’ils sont, vise à les associer au plus tôt et autant qu’il peut être possible, aux questions et décisions qui engagent la scolarité de leur enfant.

Pierre Périer
Professeur de Sciences de l‘éducation. Université Rennes 2 - CREAD

 Notes

[1] Le contrat de responsabilité parentale (loi du 21 mars 2006) sanctionnant les parents d’enfants absentéistes ou perturbateurs est venu rappeler le contrôle que l’Etat visait à exercer, à travers l’école, sur les familles. 

Bibliographie

  • Ballion, Robert. Les consommateurs d’école. Paris : Stock, 1982.
  • Lahire, Bernard. Tableaux de familles. Paris :  Seuil, 1985.
  • Périer, Pierre. Ecole et familles populaires. Sociologie d'un différend. Rennes : PUR, 2005.
  • Périer, Pierre. De quelques principes de justice dans les rapports entre les parents et l’école in Education et didactique, vol. 6, n° 7, 2012. p. 85-95.