Retour sur la synthèse du cabinet ICC relative à l'enquête sur les politiques contribuant à la réussite scolaire et éducative des jeunes et adolescents des quartiers défavorisés
En décembre 2012, le cabinet « Inter Consultants Chercheurs » (ICC) remet à l'ACSE une synthèse d'études monographiques menées dans six villes d'Ile-de-France. Sans prétendre à la représentativité, cette synthèse interroge d'une part les offres éducatives proposées localement par l'Education Nationale, les collectivités locales ou les associations, et, d'autre part, la légitimité de la Politique de la Ville à s'inscrire dans le domaine éducatif.
Eléments de contexte
Les données analysées s'inscrivent dans un double contexte, celui des rapports de la Cour des Comptes (CDC) soulignant régulièrement le saupoudrage de la Politique de la Ville (PV), en particulier celui de juillet 2012 qui insiste sur les « risques de redondance et de juxtaposition » des actions péri-scolaires, principalement au collège, en ciblant les actions d'accompagnement à la scolarité. De plus, cette synthèse s'inscrit dans le contexte de « refondation de l'école » basé sur un projet éducatif territorial (PEDT) susceptible de redéfinir le positionnement des différents acteurs locaux.
La légitimité de la Politique de la Ville
Le premier constat de la CDC invalidé est celui de l'illégitimité de la PV en matière éducative pour cause de « doublon » ou pour des raisons historiques. L'argument des « doublons » est battu en brèche par le fait que les offres locales ne couvrent pas les besoins, même lorsque ces dernières sont optimales et portées par différents acteurs. Quant au recentrage de la Politique de la Ville vers ses thématiques historiques, cet argument serait invalidé par des historiens dans la mesure où, dans la lignée des rapports Bonnemaison (82) et Dubedout (83), les actions éducatives, dans un sens très large, étaient fortement présentes dans les Contrats d'action de prévention et de sécurité (CAPS) et pendant la période dite de développement social des quartiers (DSQ). Contrairement à l'affirmation de la CDC, il n'existe pas un « âge d'or » de la Politique de la Ville où les actions éducatives n'existaient pas, elles étaient simplement incluses dans d’autres thématiques plus larges que leurs acceptions actuelles. Le FAS était une des sources de financements. Il ne serait d’ailleurs pas inutile de rappeler que les CLSH créés en 1984, notamment pour pallier le déficit d’équipements éducatifs dans les quartiers les plus défavorisés, ont fréquemment fonctionné avec l’appui d’actions financées au titre de la politique de la ville (DSQ puis Contrat de ville), qu'elles soient « portées » par des services municipaux ou le tissu associatif. Notre positionnement et celui du rapport d'ICC divergent sur ces derniers points.
Des enquêtes locales pourraient montrer la variété des projets financés, allant des projets innovants d’écoles situées en ZEP (REP, RAR, ECLAIR, selon les époques) au financement d’actions associatives souhaitant conserver une relative indépendance avec les structures municipales. Le volet éducatif de la PV n'est pas seulement inclus dans la politique municipale éducative.
L'ambivalence du terme « éducation » et le manque de lisibilité des offres locales
Ce rapport mentionne la profusion et l’ambivalence des usages du qualificatif « éducatif ». En effet, ICC note la grande variété des dispositifs utilisant ce qualificatif (la veille éducative, l'accompagnement éducatif, le contrat éducatif local, la programme de réussite éducative, …, et, désormais, le projet éducatif territorial) mais fait surtout le constat que ces dispositifs sont portés par des institutions aux fonctionnements globalement cloisonnés. Ce constat peut toutefois être nuancé selon les dynamiques territoriales. Ainsi, les dispositifs sont nombreux, très proches dans leurs appellations et peu lisibles aux non-initiés, à commencer par les parents des quartiers populaires. Les problématiques de lisibilité et de coordination sont, à juste titre, centrales dans ce rapport.
Les problématiques de gouvernance et de coordination
Les offres éducatives sont portées par l’E.N, les services municipaux ou les associations qui ont, ou non, une délégation de gestion de la part de la municipalité. Leurs nombres comme leurs localisations dépendent fortement des volontés et des ressources de chacun. A toutes les échelles; quartiers, ville, agglomération, département, région, territoire national ; existent des enjeux de cohérence. La plus-value de cette riche enquête est de montrer, contrairement aux croyances officielles, qu’il n’y a pas trop d’acteurs, ni trop d’offres, il y a principalement une « problématique de gouvernance à l’interne (Villes, E.N) et à l’externe (coordination) et de lisibilité. » Le cabinet ICC propose trois types de cohérence: le premier basé sur la distribution clarifiée et étanche des rôles de chacun, le deuxième fondé sur la conscience de l’interdépendance des acteurs, et le dernier, idéal, mêlant les deux premières dans l’optique d’une mise en œuvre et une évaluation effectives de la stratégie partagée.
Dans les faits, la première approche est dominante, toutefois, des villes animées par une dynamique de projet et des acteurs engagés construisent ici ou là des actions signifiant leur interdépendance. La problématique de l’évaluation reste, dans la majorité des cas, en suspens.
Toutefois, le rapport de ce cabinet souligne les « modalités de suivi efficaces » des délégués du Préfet, et celles mises en œuvre par le programme de réussite éducative (PRE) .
Les plus-values relevées pour le PRE sont :
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sa coordination,
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son fonctionnement inter-partenarial, structurant et dynamique,
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ses suivis individualisés à partir de diagnostics globaux,
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la place accordée aux parents,
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la prévention de l’échec scolaire,
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son rôle de rééquilibrage de l’offre éducative, notamment en direction des adolescents,
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une potentielle fonction de coordination des acteurs face à des situations communes.
Une absence de cadre et des coopérations locales à géométrie variable
ICC constate de nombreuses inégalités entre les territoires monographiés au regard des financements de la PV, de l’E.N et des collectivités. Les actions éducatives les plus nombreuses se situent sur le temps péri-scolaire d’où le besoin de lisibilité et de coordination. Sur ce temps, le cabinet regrette la faible mobilisation de l’E.N dans les quartiers prioritaires, « à peine supérieure » à celle des secteurs ordinaires et les volontés variables de coopération dues à « l’absence de cadre plus ou moins contraignant. » Un constat exprimé par de nombreux acteurs locaux et mentionné dans le dernier rapport sur l'éducation prioritaire. Si, pour des raisons historiques et institutionnelles, des représentants de l'Education Nationale ont moins développé que d'autres acteurs des compétences favorisant le partenariat, si la mobilisation de l'Education nationale au profit de l'éducation prioritaire est limitée, sur le plan financier et sur celui de ses impacts, nous pourrions néanmoins faire le même constat pour certaines collectivités, lesquelles, pour des raisons électorales ou propres à une minorité d'élus, ont choisi de peu investir sur le plan éducatif dans les quartiers défavorisés au regard des besoins objectifs (indicateurs sociaux, scolaires, ...), usant parfois de l'argument de l'égalité de traitement entre les quartiers, remplaçant le projet éducatif par des actions occupationnelles insuffisamment encadrées.
CONCLUSION
Au regard de ces éléments, la synthèse d'ICC invalide, à travers six études de terrain, la préconisation de la Cour des Comptes selon laquelle la Politique de la Ville gagnerait à se recentrer sur « ses interventions historiques dans le domaine de la prévention de la délinquance et des actions jeunesse culturelles et sportives. » En effet, cette étude insiste fortement sur le fait que les besoins sont, sinon non diagnostiqués, du moins, sous-évalués, qu’il n’y a ni trop d’acteurs, ni trop d’offres, il y a principalement une « problématique de gouvernance à l’interne (Villes, E.N) et à l’externe (coordination) et de lisibilité. »
A ce titre, nous pensons que la Politique de la Ville pourrait être un levier déterminant, voire un outil de coordination, si son positionnement était clairement défini dans ce domaine et ses représentants formés en conséquent à l’analyse des pratiques et questions éducatives. Une analyse détaillée des Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) pourrait révéler le nombre important et la variété des actions éducatives financées, parfois « spécifiques », parfois « compensatoires », qu’elles soient portées par des collectivités, des associations ou des établissements scolaires. Cependant, ce soutien indiscutable ne doit pas évincer la question de la pertinence des actions financées, donc des critères préalables aux choix, et de l’accompagnement concerté qui devrait prévaloir en amont du dépôt des dossiers. Cela supposerait d’une part des acteurs de la Politique de la ville formés, d’autre part, que cette formation concourt à ce que ces acteurs aient un regard positif sur les adultes et jeunes de ces quartiers et que ce regard soit reconnu et partagé par les autres acteurs éducatifs du territoire. En matière éducative, cette manière de se représenter ou de désigner l'autre est un préalable.
Le second enseignement à retenir de cette note est que la problématique n'est pas celle du « doublon » ou de la « redondance » affirmée par le rapport de la CDC de juillet 2012. Sur ce point, il serait intéressant qu’une analyse scientifique explique comment la CDC a pu aboutir à une conclusion aussi éloignée des expériences locales. Les acteurs de terrain et les chercheurs se rejoignent pour montrer que les offres ne sont pas toujours à la hauteur des besoins (faute de financements, d’encadrants, de structures, parfois de diagnostics), que ces offres diminuent en fonction de l’âge ou, quand elles existent pour les adolescents, que ceux qui en auraient le plus besoin (ces 15 à 20% d’une classe d’âge) ne sont pas les principaux bénéficiaires pour différentes raisons… Enfin, ce rapport, dont nous souhaitons diffuser plus largement la pertinence des conclusions, affirme que les principales problématiques sont celles de la lisibilité des offres locales, de la place accordée aux parents pour chacune d'entre elles, de la gouvernance ou de la cohérence construite entre les acteurs pour mettre en œuvre des actions pertinentes, interdépendantes et évaluées. Cette problématique de la gouvernance est d'ailleurs interprétée comme une des conséquences de l'absence de pilotage clair à tous les niveaux de l'échelle administrative.
Sébastien BOUTEIX