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La réforme des rythmes scolaires : quels enjeux pour les bibliothèques ? Entretien


Florence Lacroix-Spinnewyn est conservatrice de bibliothèque, responsable de la médiathèque Verlaine de Metz. En janvier 2014 elle a présenté un mémoire d’étude consacré aux enjeux de la réforme des rythmes scolaires pour les bibliothèques publiques. Nous vous proposons ici, en quelques questions/réponses avec son auteure, une présentation de ce mémoire, qui date des débuts de la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. 

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NB. Des liens spécifiques vers tel ou tel chapitre de l’étude sont insérés au fil de l’entretien.

En 2013 vous avez mené une étude intitulée « Aller à la bibliothèque après la classe dans le cadre de la réforme des rythmes ». Pouvez-vous nous expliquer la méthodologie employée ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Comme on était aux débuts de la réforme des rythmes scolaires, je dois dire qu’il n’a pas toujours été facile de trouver des interlocuteurs dont le projet était suffisamment engagé. Pour construire l’échantillonnage, j’ai utilisé mon réseau de connaissances et également des répertoires d’adresses professionnels. Le plus compliqué a été d’obtenir des informations des bibliothèques de moins de 10 000 habitants qui étaient moins avancées sur la mise en œuvre de leurs projets.
Je me suis donc orientée vers de plus grands réseaux. J’ai effectué des entretiens  avec les responsables de bibliothèques de collectivités mettant en oeuvre la réforme des rythmes scolaires dès la rentrée 2013 ou à la rentrée 2014, intégrées ou non dans un réseau communal ou intercommunal. Les entretiens ont eu lieu avec des directeurs et des responsables de service de bibliothèques de 18 villes ou intercommunalités : Angers, Arras, Brest, Bischwiller, Décines, Dijon, Grenoble, Le Havre, Lille, Limoges, Lormont, Marckolsheim, Mulhouse, Rennes, Roubaix, la communauté d’agglomération de Plaine Commune, Saint-Priest, les Ulis - Communauté d'Agglomération du Plateau de Saclay. Parmi ces villes, douze font partie du réseau des villes éducatrices : Angers, Brest, Limoges, Décines, Dijon, Grenoble, Lille, Limoges, Lormont, Rennes, Roubaix, Saint-Priest, onze ont opté pour une mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires dès la rentrée 2013. J’ai réalisé des entretiens également avec des représentants du Ministère de la Culture au service du livre et de la lecture, des Directions Régionales des Affaires Culture Alsace et Picardie pour savoir dans quelle mesure leurs services étaient associés ou sollicités par les bibliothèques. Des structures en charge de l’accompagnement et de la formation des personnels des bibliothèques ont également été contactées dans cette perspective, ainsi que la responsable de la commission jeunesse de l’Association des Bibliothécaires de France (cf. annexe 1 du mémoire).

C’est la méthode d’enquête par entretiens ciblés qui a été choisie, à partir d’un questionnaire (cf. annexe 2 du mémoire).

De quelle tutelle dépendent les bibliothèques publiques territoriales ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Elles dépendent d’une municipalité ou d’une intercommunalité. Ce sont des services municipaux intégrés à l'administration communale. Leur budget est voté par la collectivité qui recrute les personnels des bibliothèques. Dans les plus petites communes, on trouve également des bénévoles au sein des bibliothèques. Les bibliothèques départementales de prêt sont des services des conseils départementaux. Elles ont notamment pour mission la desserte documentaire, une expertise en matière d’ingénierie culturelle, informatique et numérique, la formation des personnels salariés et des bénévoles, etc. auprès des  bibliothèques des communes jusqu’à 10 000 habitants, bien que ce plafond tende à disparaître du fait de l’évolution des territoires.

Les bibliothèques ont-elles une mission spécifique par rapport au public scolaire ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Non, pas spécifiquement. Notre mission est de favoriser la lecture auprès de tous les publics. Mais il est certain que la collaboration avec le monde scolaire nous permet d’entrer plus facilement en contact avec des groupes d’enfants déjà constitués. La collaboration  peut prendre la forme d’une convention de partenariat, à l’occasion d’un projet.

Quels liens existent entre les bibliothèques territoriales et le monde scolaire ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Les relations entre les bibliothèques publiques et l’école, c’est une longue histoire ! (cf. partie 1.1. du mémoire). Les liens entre bibliothécaires et professeurs des écoles, professeurs des collèges (moins en lycée) sont aujourd’hui bien développés. Il existe entre les deux  un socle commun qui est de faire découvrir la lecture, la littérature, plus largement de donner à découvrir à travers les livres. Prenons un exemple : Le Prix des Incorruptibles, qui consiste en une sélection de romans par niveau, que les élèves d’une classe doivent lire et pour lesquels ils votent. Très souvent bibliothécaires et professeurs travaillent ensemble sur ce  projet, ce qui donne lieu à des échanges riches. La différence entre les deux professions, c’est que les bibliothécaires ne sont pas en attente d’évaluation, de résultats immédiats.  Les enseignants reconnaissent et apprécient les compétences des bibliothécaires, ils viennent souvent solliciter les bibliothécaires  du secteur jeunesse quand ils ont un thème de recherche par exemple. On peut dire que le travail est de plus en plus collaboratif, même si, bien sûr, il peut y avoir ici ou là des différences d’approche du travail autour de la lecture.

En quels termes se pose la question de l’accès à / la fréquentation de /la bibliothèque ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : La fréquentation est une interrogation constante des bibliothécaires : qu’apporte une visite de la bibliothèque, ou un projet à plus long terme, aux élèves ?  à la bibliothèque ? Souvent on inscrit massivement les élèves lors d’une visite de classe, mais combien reviennent seuls ou avec leurs parents, par exemple ? Malheureusement nous ne faisons pas toujours un travail de bilan, pour mesurer la fréquentation réelle des élèves inscrits à l’issue d’un projet mené avec une école.
Sur la question de l’accessibilité, certains enfants en échec scolaire peuvent ressentir la bibliothèque comme une annexe de l’école. Il nous arrive fréquemment de recevoir lors d’accueils de groupes (scolaires ou par l’intermédiaire d’associations, de centres médico-sociaux) des enfants qui n’ont pas ou peu de livres chez eux. Notre rôle est de permettre à ces jeunes de franchir les portes de la bibliothèque, ce qu’ils ne feraient pas tous seuls.

Le développement culturel est-il au cœur des missions des bibliothèques ? 

Florence Lacroix-Spinnewyn : Cette mission est fondamentale (cf. partie 1.3. du mémoire). Les tout-petits sont toujours extrêmement attirés par le livre, par le fait de tourner les pages, de regarder les images. A contrario, on a constaté récemment au cours d’animations qu’un enfant qui n’ouvre jamais de livre mais utilise quotidiennement les supports mobiles a tendance à vouloir ouvrir le livre en l’effleurant, comme avec une tablette ! Les bibliothécaires sont interpellés par cela, même s’ils utilisent ces supports au sein de la bibliothèque pour permettre un autre contact avec la culture (récit, documentation, musique, film…).
On ne peut nier qu’il existe une concurrence entre le livre et les supports mobiles, concurrence d’autant plus forte dans les milieux socio-culturels où le livre est peu présent. La bibliothèque a ce rôle de faire découvrir des ressources culturelles et documentaires vers lesquelles certains  n’iraient pas spontanément.

Quelles sont les activités les plus proposées aux écoles dans le cadre des TAP/NAP ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Il y a tout d’abord la visite simple (le lieu, les ressources, le fonctionnement de la bibliothèque). Dans le cadre des TAP ou NAP, il a été facile de décliner des activités thématiques comme la recherche documentaire, le travail d’illustration d’un artiste, le traitement d’un conte dans différents albums, un travail sur le récit (écrit, oral). Le panel d’activités est extrêmement large (cf. annexe 3 du mémoire). Traditionnellement, les activités autour de la musique, des films sont moins développées car elles demandent une expertise que n’ont pas forcément la majorité des bibliothécaires. De plus en plus d’activités autour de la production numérique sont proposées par les bibliothécaires. Par exemple, réaliser des ateliers stop motion (1), MAO (2), mash-up (3), ou  raconter une histoire à l’aide d’une tablette. On essaie aussi de mixer des contenus de  livres de nos collections avec des supports numériques.

ces activités ont-elles lieu plutôt à l’intérieur de l’école, dans la bibliothèque, ailleurs ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : C’est très variable, cela dépend beaucoup de la proximité entre l’école et la bibliothèque. Si l’école est éloignée de la bibliothèque, les activités ont davantage lieu à l’école. Cela dépend aussi du temps consacré aux TAP et aux NAP : plus le temps est court, moins il y a la possibilité de se déplacer.

selon vous, Quel est l’apport des Temps d’Activités Périscolaires ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Un des points positifs est la rencontre avec les parents. Les bibliothécaires qui vont  dans les écoles à l’occasion des TAP ont la possibilité, en fin de séance,  de rencontrer des parents qui a priori ne vont jamais à la bibliothèque, et de leur parler des livres, de la bibliothèque, etc. Nous ne rencontrons presque jamais la totalité des parents (contrairement aux enseignants), nous voyons  à la bibliothèque les parents volontaires. Les TAP sont une belle occasion de toucher davantage de parents, au-delà des enfants.

Comment le personnel des bibliothèques a-t-il été intégré aux NAP ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Cela est variable. Dans certains cas, les personnels des bibliothèques, comme ceux des autres services, ont été associés en amont avec d’autres partenaires à la mise en œuvre des TAP ou NAP. Cela n’a pas toujours été le cas. Par ailleurs, dans les collectivités où il n’y a pas d’autres ressources culturelles que la bibliothèque, les bibliothécaires ont dû se rendre disponibles pour aller dans les écoles mener des activités périscolaires. Cela a eu parfois comme conséquence un changement des horaires d’ouverture de la bibliothèque au reste du public.

Les bibliothèques ont-elles obtenu des moyens spécifiques pour la réforme des rythmes ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : C’est extrêmement variable, tout dépend des moyens de la collectivité. Les communes qui ont le moins de ressources sur leur territoire (communes rurales mais également certaines communes très urbaines) ont eu plus de difficultés à mettre en place une offre diversifiée. Les orientations politiques ont joué également : certaines villes qui ont fait de l’éducation une priorité, ont beaucoup investi, même si ce ne sont pas des communes très riches.

Quelle est l’articulation des activités de la bibliothèque avec le Pedt ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Certaines communes qui étaient déjà engagées dans des PEG ou PEL ont pu plus facilement s’engager dans un Pedt. Certaines habitudes de travailler ensemble étaient déjà installées. Ce qui diffère, c’est les moyens mis en œuvre. Le Pedt interroge la capacité des différents acteurs d’un territoire à se rencontrer et à construire ensemble. Souvent, chacun arrive avec son projet, et le plus difficile est d’arriver à bâtir un projet commun.

Selon vous, quelles sont les conditions necessaires pour que les Pedt fonctionnent ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Le constat sur le terrain est que tout le monde n’a pas les mêmes besoins, mais que tout seul, on ne peut pas être efficace. Il faut donc identifier  les besoins particuliers, tout en mutualisant. Ce qui renforce les difficultés, c’est la diversité des structures : associatives, municipales, Etat, chacune ayant sa façon de travailler. Elles n’ont pas non plus les mêmes rythmes, les mêmes budgets, ni les mêmes autorités de tutelle.
Le Pedt oblige à considérer les besoins et les ressources d’un territoire pour œuvrer ensemble, avec le souci d'un maximum de concertation.

Quelles relations entretiennent les bibliothèques avec les centres sociaux ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Les bibliothèques sont ouvertes aux centres sociaux comme à tous les autres publics. Si les activités périscolaires ont lieu au centre social, la bibliothèque peut être centre de ressources mais aussi de formation. Certains animateurs sont demandeurs : ils viennent à la bibliothèque préparer leur animation avec l’aide du bibliothécaire, et acquièrent de plus en plus d’autonomie. Les animations se font soit à la bibliothèque, soit au centre de vacances et de loisirs (autour des collections de la bibliothèque). En fait cela se définit localement, « à la carte ».

Quels impacts a eu la réforme des rythmes sur le métier de bibliothécaire ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : J’ai mené mon étude au tout début de la réforme, il m’est donc difficile de  répondre précisément à cette question. Néanmoins, je sais que des formations ont été mises en place. Une tendance forte est que le bibliothécaire est de plus en plus un médiateur, il a donc  besoin d’être formé à cette médiation. Les bibliothécaires ont parfois du mal à se sentir légitimes dans ce rôle de médiateur du fait de parcours de formation différents. La question de la formation continue se pose aussi. Elle est d’autant plus importante que l’on trouve une grande diversité de profils chez les agents des bibliothèques territoriales. Tous n’ont pas une formation initiale dans ce domaine. Par ailleurs, le métier des bibliothécaires a beaucoup évolué du fait du développement des technologies informatiques et du besoin de développer la médiation entre le contenu des collections et les publics, notamment les publics les plus éloignés des pratiques culturelles et des outils numériques.

A quelles conclusions êtes-vous arrivée au terme de votre étude ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : « Aller à la bibliothèque après la classe » dans le cadre d’ateliers périscolaires peut être l’occasion d’un contact différent avec les enfants, l’occasion de construire des partenariats différents sur le territoire, et l’occasion de positionner le bibliothécaire comme un médiateur culturel. Reste la question de l’inégalité de l’offre culturelle sur les territoires.

Les  TAP permettent-ils, selon vous, de lutter contre les inégalités ?

Florence Lacroix-Spinnewyn : Oui, sur le principe, avec des bémols comme la liberté des parents d’inscrire ou pas leur enfant, la gratuité ou pas des activités. La question de la qualité des activités proposée est importante. La question des moyens alloués aux collectivités interroge la pérennité des dispositifs.
Je suis de plus en plus persuadée qu’une des clés de réussite sont les parents. Si on n’associe pas les parents aux actions menées, l’impact auprès des enfants est moins important. Quoi qu’il en soit, je considère que toute occasion de rencontrer une diversité culturelle est importante pour les enfants.

Propos recueillis par Anne Francou (avril 2016)

Notes
Note (1) Il s'agit d'une technique de cinéma d’animation qui consiste à donner vie à des objets inanimés.
Note (2) MAO= musique assistée par ordinateur.
Note (3
) Un mashup (autrement appelé en français «  application composite »)  est une application qui combine du contenu ou du service provenant de plusieurs applications plus ou moins hétérogènes.

Pour aller plus loin 


Chazaud, Anne-Sophie, Demesmay, Agnès. Médiathèque/École : pour un parcours culturel commun in Bulletin des Bibliothèques de France n° 2, 03/2013. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2013-02-0007-001